Cher Papa,
Je me ferai, discrète comme une plume
Je ne pèserai pas
Je me ferai forte comme la pluie,
Tu sera fier de moi
Tu verras, je me ferai belle, je me ferai droite,
A la hauteur de tes rêves, je me ferai celle que tu veux que je sois. Mais, il se peut que, par un coup du sort, je te déçoive.
Il se peut qu’au final, je ne sois que moi.
Dans les bars, pour une femme, le contrat c’est: “Sois belle et chante, si tu chantes pas, tu dégages”. T’es pas bien belle mais tu chantes, Eunice, loin des cantiques, tu chantes la “Musique du Diable” celle qui fait bouger les hanches, qui ondule dans les bouges, sous les lampes vacillantes, dans les volutes épaisses et les vapeurs d’alcool. Sous les regards vitreux des piliers de comptoir, tu deviens cet oiseau de nuit qui délasse les corps et fait sombrer les âmes et pour que ta mère ne l’apprenne jamais tu changes de nom. Tu choisis “Nina” Comme Nina, la petite fille, et “Simone” comme Simone Signoret, aussi blonde et blanche que tu es brune et noire.
Les gens t’écoutent. Ils lèvent même le nez de leur verre. Puis, le bouche à oreille se fait: “Il y a une fille pas comme les autres au Midtown bar, Atlantic City, elle boit du lait fraise mais elle envoie du lourd”. Devant ton allure de concertiste guindée le silence se fait, de toute façon si quelqu’un parle tu cesses de jouer et le foudroies du regard.
Bientôt d’autres bars te réclament puis se pressent intellectuels, activistes, journalistes, maisons de disques, manager, Disc jokey. Le vent souffle, on te propose des contrat, des 45 tours, des tournées. Bienvenue dans le show buisness !
Mais t’es colère, t’es colère de ne pas pouvoir jouer du Jean Sebastien Bach. Colère d’être noire dans un pays ou les blancs dirigent tout. Colère d’être une femme dans un monde où les hommes décident de tout. Si t’avais pas fait de musique, tu aurais tué des gens. Tu aurais posé des bombes pour faire taire les hommes blancs et leur fâcheuse manie de commander à toute la planète.
Mais tu fais de la musique, tu mets toute ta colère dedans, tu joues avec colère, tu chantes avec colère et quand ils l’écoutent ta colère, ça les attrape par le ventre , ça prend possession de leur corps, ils cessent de respirer, tu le vois bien, des ailes leur poussent dans le dos, ils s’envolent, ascenseur direct vers le tout puissant.
T’es une arme de lévitation massive, Nina, comme Jean Sebastien Bach.
J’ai 15 ans. Baskets, chewingum, moue permanente, embourgeonnée d’acné, bref j’ai 15 ans. Des rêves plein la tête et un sweat trop grand pour tenter de cacher tout ce qui pousse, trop, trop tôt, trop vite...
Dans la rue, je marche pareil, mais c’est le regard des autres qui a changé, celui des hommes surtout, plus long, plus cru. Parfois un mot, un “pssst psst” ou alors juste le “balayage implacable”, tu sais celui qui te strip-tease en trois coups de cuillère à pot.
Dans ces cas là, je rougis, je le sens, c’est pire, mes joues en feu c’est comme un consentement, comme un : “ je sais que tu sais que je me sens nue”
“Profite ma fille, profite, un jour ils ne te regarderont même plus”.
Parfois, dans le métro, je sens une main sur mes fesses. Je suis tellement sidérée que je ne bouge pas, mais pas d’un pouce, juste je rougis, comme un consentement.
Parce que dire quelque chose, attirer tous les regards sur moi à ce moment précis de ma vie, ça serait pire encore. Alors, je laisse la main explorer mon postérieur, tranquille, avant de quitter la rame.
Et je garde la honte sur ma tête, à chaque fois, comme un bonnet d’âne, comme un gyrophare, jusqu’à la douche, jusqu’à frotter mes fesses sans relâche pour que ça parte.
Et la colère arrive, après bien sur, toujours trop tard, toujours muette, de celle qui te brule la gorge, qui se transforme en eau de sel et qui te pisse par les yeux. Heureusement, Nina, je m’abreuve à la tienne
Dedans ça peste, crache et s’essuie de travers
Ça s’énerve et ça cogne puis ça fait peur aux autres
Gare la gueule à celui qui s’approche de trop près
J’suis pas d’celle qu’on câline, J’suis pas l’pote à tout l’monde J’ai des mains pour me battre et une bouche pour gueuler
J’ai des mains pour me battre et une bouche pour...
Mais je m’tais, je la ferme, je marche dans les clous Les filles c’est pire que pas, les filles ça rase les murs Ca se prend des gamelles et ça fait bonne figure
Cette bande de tête à claque peut toujours me draguer J’suis pas de celle qu’on flatte pour mieux les étouffer J’suis pas de celle qu’on flatte pour mieux....
Ce monde n’est pas pour moi il n’aime que les cowboys
Les corps sculptés, les têtes en stucs
moi, j’suis taillée comme un sac
moi, j’suis la reine des pommes, j’suis la trop pleine de poisse J’suis pas de celles qu’on pleure quand elles seront crevées J’suis pas de celles qu’on pleure quand elles seront crevées
Mais calme calme. Toi, donne moi de ta rage
Tu es la seule qui voit, tu es la seule qui sait
Et quand mes larmes coulent,
tu viens les boire, goulue comme on boit la rivière Et tes pieds dans mes flaques m’invitent à danser Tes pieds dans mes flaques m’invitent à danser
Paroles2Chansons dispose d’un accord de licence de paroles de chansons avec la Société des Editeurs et Auteurs de Musique (SEAM)