Réquisitoire contre Jean-Jacques Debout
25 février 1981
Mon le président mon chien,
Chère maîtresse,
Monsieur le détourneur infantiliste,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Pour commencer, que les choses soient claires : qu'on ne compte pas sur moi pour ravaler le débat au- dessous du caniveau. Nous sommes ici dans le but noble et beau de juger en notre âme et conscience le nommé Jean-Jacques Debout, et personne d'autre.
Parlons donc de Jean-Jacques Debout et non pas de Chantai à genoux ou de Bécassine à quatre pattes. Ce serait absolument déplacé. Ce disant, je pense d'ailleurs me faire l'avocat de l'avocate, si je puis m'exprimer ainsi. Car la moralité de maîtresse serre-joint est sans tache, et je tiens à le proclamer bien haut, par-delà les douzevergences... les dix vergences qui peuvent nous séparer eu égard à nos fonctions. Oui, mesdames et messieurs les jurés, sous la robe austère de l'avocate ne se cache aucun artifice, God bless you !
Mesdames et messieurs les jurés, je ferai appel à votre clémence dans le cas qui nous préoccupe aujourd'hui : « Une fois n'est pas coutume », comme l'a si bien dit Henri IV le jour où il sauta sa femme Louise de Lorraine.
Si je requiers votre clémence, mesdames et messieurs les jurés (une clémence toute relative, j'y reviendrai), c'est que l'accusé Jean-Jacques Debout est un handicapé patronymique.
Qu'est-ce qu'un handicapé patronymique ? Qu'a-t-il de moins qu'un handicapé trop nimique ? Ce n'est pas ce qui s'appelle une excellente question, mais je vous remercie quand même de me l'avoir posée !
Un handicapé patronymique, comme son nom l'indique, c'est le cas de le dire, c'est quelqu'un dont le patronyme, c'est-à-dire le nom de famille, peut prêter à rire, à sourire, ou même à se fendre franchement la gueule, aux dépens de celui qui le porte.
Imaginez un instant, mesdames et messieurs les jurés, quels quolibets, quels lazzis a pu endurer le jeune Jean- Jacques Debout lors de sa scolarité. Imaginez combien de jeunes merdeux serviles ont dû ricaner méchamment chaque fois qu'un instituteur crétin disait fermement : « Jean-Jacques Debout, assis ! » Peut-on décemment, trente années plus tard, en vouloir à cet homme ? Ne sont-ce point ces trente années de moqueries infâmes qui ont transformé un enfant charmant en cette espèce de brute grossière qui nous fait face aujourd'hui ? Allons-nous réellement châtier cet épouvantable débris humain repoussant, cet ignoble rustre bestial sans foi ni loi ni... ni cravate ? Non, mesdames et messieurs les jurés ! Ayons pitié de ce connard grotesque ! C'est un handicapé patronymique, alors qu'au départ, si j'en crois le dossier d'instruction, c'était un enfant absolument normal, qui aimait le TRAVAIL, la FAMILLE, la PATRIE par-dessus tout, et la bonne par-dessous l'évier !
Ce qu'il y a d'admirable, chez cet être vulgaire et inintéressant, c'est que, par fidélité à ses aïeux, il a eu le courage de conserver son nom d'origine. D'autres avant lui l'ont fait, qui portaient pourtant des noms tout aussi saugrenus : je pense bien sûr à Voltaire, qui a gardé toute sa vie ce nom de fauteuil tout à fait stupide, à Louis XV, qui supporta son nom de Louis la Commode avec d'autant plus de mérite qu'il épousa une princesse de Moncul ! A Jacob Delafon... Tiens, Jacob Delafon : voilà un garçon qui a souffert ! Son père était arbitre de football : vous pensez bien que les supporters mécontents s'en donnaient à cúur joie : « Aux chiottes, l'arbitre ! » Et monsieur Paul, le sympathique proxénète grec, vous croyez que ça l'amuse qu'on l'appelle le maquereau Paul, à Athènes ?
Sans parler de ce pauvre Jacques Merde, dont parlait Rego l'autre jour. Je vous rappelle l'histoire : il n'était pas content de s'appeler Jacques Merde. Il va voir la police et leur dit :
« J'en ai assez, je voudrais changer de nom. »
La police lui dit :
« Vous vous appelez comment ?
- Jacques Merde.
- Et vous voulez vous appeler comment ?
- Paul Merde. »
Il y a toujours eu des handicapés patronymiques, aussi loin qu'on remonte dans l'Histoire. Même Dieu ! Tenez ! Parfaitement. Au début, Jésus s'appelait Tonton ! Vous vous rendez compte ! Tonton de Nazareth ! Mais c'est vrai ! Quand il est allé danser aux noces de Cana la foule a crié : « Tonton Christ au bal ! Tonton Christ au bal est revenu !» D'autres exemples ? Hugues Capet s'appelait Handy Capet ! Et le vainqueur de Verdun ? Le glorieux maréchal Putain ?... Et son amant, je veux parler du colonel Jonathan ! Si l'on en croit Pierre Dac, son biographe, il s'appelait Jonathan des Renforts qu'arrivent de Tananarive ! C'est seulement à l'âge des premiers ennuis prostatiques qu'il fit changer son nom en Jonathan Laquille.
Plus près de nous, on cite le cas d'un autre militaire, un général qui est né à Lille au début de ce siècle sous le nom de Charles Trois-Cannes, et qui se fît connaître plus tard sous le nom de Charles Deux-Gaulles seulement. D'ailleurs, même deux gaules, c'est beaucoup. Une seule suffit, pour la morue.
Encore plus près de nous, on ne peut s'empêcher de penser à Marie-France Gorille, à qui Brassens a suggéré un nouveau patronyme, ou à cet ancien de l'ENA qui s'appelait Valéry Petit-Cul (devenu Valéry J'ai-le- quart-du-train) ou ce Georges Dedans... Georges Dedans qui, par la suite, s'est fait appeler Georges Marchais Dedans, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que ça faisait... ça sonnait comment dire... ça sonnait un peu « caniveau ». Un peu merdique. Ah, tiens, à propos de merde, vous avez vu la nouvelle photo de Chirac sur les murs de Paris ? (Je dis pas que Chirac c'est de la merde, mais c'est quand même lui le premier en France à avoir osé faire apposer des images scatologiques bestiales sur les murs de la capitale.)
Il est bien évident que lorsque quelqu'un d'aussi préoccupé de son image de marque que peut l'être Jacques Chirac se fait tirer le portrait par un photographe, c'est pas fait n'importe comment, ni par n'importe qui. Avant de faire la photo, on époussette Chirac, on lave Chirac, on rase Chirac, on peigne Chirac. On lui met ses plus belles lunettes. Oh, pis non, on lui enlève ! Un tout petit peu de poudre sur le nez de Chirac, pour faire moins pointu, moins requin. Ça y est, on est prêt... « Un petit sourire, monsieur le maire. » Clic. Clac. On la refait ! Clic. Clac. On la refait ! Etc. Après on choisit, avec bobonne Bernadette et tout l'état-major, et on choisit très soigneusement ! C'est que ça peut en valoir des voix, une bonne photo ! En l'occurrence, les conseillers avaient dit : « Il nous faut, merde quoi, une image de Jacques à la fois très souriante, très rassurante, mais dans laquelle on sente passer toute la volonté, toute l'énergie de Jacques, merde quoi. Et puis, dans le regard, coco, y faut qu'on sente l'amour que Jacques a pour le peuple. »
Voici le détail publié dans le bulletin des amis de Jacques Chirac :
La photographie de Jacques Chirac a nécessité cinquante-cinq jours de travail. Six tailleurs, quatre coiffeurs, sept maquilleuses et quarante-deux photographes de génie se sont succédé dans le bureau du maire de Paris afin de lui tirer le portrait. Trois mille quatre cent douze épreuves ont été finalement développées. Pour choisir la bonne, monsieur Chirac s'est entouré d'un jury exceptionnel composé de cent quarante-six personnes : chefs de cabinet, beaux-frères, huissiers, ploucs corréziens, édiles de Brive, femmes de chambre, belles-sœurs, cadres supérieurs moyens et inférieurs, humbles éboueurs sénégalais plus particulièrement détachés à la poubelle personnelle de monsieur Chirac, anciens ministres UDR, vieux barons gaullistes, publicistes géniaux, et même un cantonnier, celui-là même qui apprit le caniveau à Jacques Chirac quand il était tout petit.
C'est seulement après cette somme de travail inouïe, et à l'issue d'un vote houleux et extrêmement épuisant, qu'a pu être sélectionné cet incroyable chef- d'œuvre qui terrorise les enfants et les bigotes.
Jamais une affiche pour film d'horreur n'aurait osé aller aussi loin : c'est carrément « Le Docteur Mabuse à l'Hôtel de Ville », « Dracula va gerber » ou « Les Diarrhées de Franstein ». Ah, messieurs les candidats aux présidentielles, quand on voit quelle image de vous-mêmes vous choisissez de donner au peuple pour vous faire élire par lui, avouez que le peuple est en droit de se demander si vous ne le prenez pas pour plus con qu'il n'est. Après ça, ne vous étonnez pas si, au jour du grand choix, y en a qui vont à la pêche ou qui votent pour le clown.
Jean-Jacques Debout : Chanteur-compositeur surtout connu pour être le mari de Bécassine, alors qu'il est celui de Chantai Goya, comme tout le monde.
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