Réquisitoire contre Patrick Poivre d'Arvor
29 octobre 1982
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Mon président pour de rire,
Monsieur l'avocat du barreau de mes deux chaises,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Ah, le beau jeune homme que voilà ! Ah, qu'il est beau ! Ah, qu'il a la jambe élan-cée, la main fine et les dents longues ! Ah, Dieu me tripote, quel émoi quand mon regard croise le tien, Passe-moi-l'Poivre-d'Abord, j'en viendrais à douter de ma virilité et à regretter de ne point être avocat pour pouvoir péder moi aussi.
N'est-ce point un signe du destin, mesdames et messieurs les jurés, que la présence parmi nous, aux premiers jours de l'automne, d'un vrai romantique ?
Ah, l'automne ! « Les sanglots longs, des violons, de l'automne, bercent mon cœur d'une langueur comme qui dirait monotone. » Ne sont-ils point sublimes ces vers douloureux que lançait hier soir vers la nue embrasée la voix désolée de Paul Verlaine, au Pop Club de Rimbaud Arthur ?
Faudrait-il que j'aie le cœur aussi sec que le gosier d'un bébé du Sahel, monsieur le président, pour réclamer la peine maximum à l'encontre d'un authentique vrai nouveau romantique ? D'un homme éperdu de l'éternel chagrin des enfants du siècle, d'un homme qui vit sa mort jour après jour en adorant la vie, d'un homme qui va, l'écharpe au vent mauvais, frissonnant dans l'éprouvante amertume des sous-bois de l'automne, où le loup de Vigny finit d'exhaler son impossible râle ? D'un homme, enfin, déchiré par les contradictions insupportables de sa personnalité de demi-dieu vivant, moitié Chateaubriand, moitié Jean-Claude Bourret.
Toute mon enfance a été bercée du chant désolé du romantisme. Oui, moi aussi, Passe-moi-l'Poivre, moi aussi, j'ai appris tout enfant à comprendre la mouvance émotionnelle de cette errance éclairée de la pensée lyrique qui nous conduit naturellement à laisser prévaloir le sentiment sur la raison et l'imagination fertile sur la froide analyse. Vous me suivez, sinon j'connais une histoire belge ?
Oui, moi aussi, Passe-moi-l'Poivre, j'ai vécu cela grâce à l'éducation romantique de mes parents. Père allait, l'écharpe au vent mauvais, frissonnant dans l'éprouvante amertume des herbes en friche de l'automne (il était romantique-exhibitionniste au bord du périphérique Nord), et Mère vivait sa mort en adorant la vie, vibrant au son du cor, le soir au fond du couloir (elle était dame-pipi romantique, chez René, le roi du chateaubriand-pommes vapeur).
Et moi, je suis leur enfant fragile et gracieux, et nous sommes des milliers d'enfants de l'aube qui souffrons, l'âme écorchée comme Lamartine, le cœur en pleurs comme Chopin, et l'air con comme Gonzague. Saint-Brieuc, terre sauvage où chante la bise et fiente la mouette, Saint-Brieuc, où la Bigoudène est de passage, puisqu'elle est du Finistère et pas des Côtes-du- Nord, faut pas chercher à me baiser sur la géo, Saint- Brieuc dont je me demande pourquoi j'en parle, Saint-Brieuc est le berceau du romantisme, à cinq cents bornes près, mais on ne va pas chipoter. Et c'est là, mesdames et messieurs les jurés, en vacances à Saint-Brieuc que j'ai découvert et aimé le livre émouvant de File-moi-le-Sel, Les Enfants de l'aube.
Je ne vous en révélerai pas ici toutes les ficelles, d'ailleurs peut-on parler de fi-celles alors qu'il s'agit bien plutôt de cordes, et même, tant l'amour est présent à chaque chapitre, de corde à nœuds.
Mais quel chef-d’œuvre ! Jamais nous ne remercierons assez Patrick Fais-voir-aussi-la-Moutarde pour son livre dont au sujet de son talent duquel la littérature française elle serait pas été pareille si qu'y serait pas été publié.
Les Enfants de l'aube nous conte l'histoire d'un adolescent leucémique qui rencontre dans un hôpital à leucémiques une jeune Anglaise leucémique. Dans un style leucémique également, l'auteur nous conte la passion brûlante et désespérée de ces deux êtres fragiles mais tremblants d'amour qui vont vers leur destin, la main dans la main et la zigounette dans le pilou- pilou.
Malgré la maladie qui fait fuir leur entourage et notamment les marchands d'assurance vie, Alfred de Vignette et Ginette de Chateaubriand, nos deux héros, décident de forcer le destin et de donner la vie à un enfant. Afin de mettre toutes les chances de réussite de ce projet insensé de leur côté, ils commencent par observer deux papillons.
« Sois mienne, dit Alfred, page 36.
Take it off, mother is comin' (ôte ta main, v'ià ma mère) », dit Ginette, dans la langue de ses pères, car elle en avait deux.
A ce stade du récit, le lecteur est bouleversé et se sent défaillir, car il en est du romantisme fiévreux comme de la moule pas fraîche : quand on en abuse, ça fait mal au ventre. Un mois plus tard, Alfred de Vignette et Ginette de Chateaubriand, qui étaient allés voir Love Story pour se remonter le moral, se retrouvent en tête à tête, par un doux crépuscule de septembre, au bord du lac Léman. La splendeur feutrée du jour qui se meurt sur la campagne belge étreint le cœur de la malheureuse enfant. Elle sait que sa fin est proche. La veille, à l'insu de son jeune amant, elle a consulté le plus grand cancérologue de Genève qui lui a dit : « C'est trois cents francs. »
« My darling, mon pauvre amour, dit-elle, qu'allons- nous devenir ? Je sens la vie me quitter doucement, mais je ne veux pas mourir. Que faire ?
- Observons deux papillons », répond-il, page 87.
Et il la prend dans ces bras tandis que l'astre du jourse fond sur le lac endormi, page 88.
Puis c'est l'heure terrible de l'aveu. Un jour, alors qu'ils jouent tous les deux à cache-cache, la jeune femme, rongée par le mal, décide de dire à son amant qu'elle attend un enfant de lui.
« I am in the clock, dit-elle. (Je suis dans la pendule.)
- Mon dieu, un enfant. Tu en es absolument certaine, ma chérie ?
- Oui, mon amour, je ne puis me tromper : le mois dernier, j'ai pas vu venir, dit-elle, de plus en plus romantique.
- Mais, ma chérie, c'est merveilleux. Viens m'embrasser. Observons deux papillons. »
A la fin du livre, le lecteur ne contient plus ses larmes. En effet, la malheureuse mère ne survivra pas à la naissance de son enfant, une petite fille que son père appellera Grenelle en hommage à La Motte- Piquet Grenelle, le peintre roman-tique du changement à Réaumur-Sébastopol.
Le livre se termine en douloureuse apothéose par cette image insoutenable du père arpentant la plaine d'Irlande brumeuse et glacée où se lève un pâle soleil d'automne. L'homme va, brisé, soutenu par sa mère et sa sœur, comme lui vêtues de noir. Soudain, il s'arrête face à la lande austère et, regardant tour à tour les deux femmes, il s'écrie : « Observons trois papillons ! »
Je rappelle le titre : Les Enfants de l'aube, par Patrick Poivre d'Arvor, chez Jean-Claude Lattès. Deux cent trois pages de romantisme décapant pour le prix d'un kilo de débouche-évier. Et maintenant, je rappelle le pitre.
Patrick Poivre d'Arvor : C'est le type qui remplace Claire Chazal sur TF1 du lundi au jeudi.
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