Je ne suis pas très vieux ; pourtant j’ai souvenance
Du jour où notre fleuve, après un siècle entier,
Pour la première fois vit un vaisseau de France
Mirer dans ses flots clairs son étendard altier.
Ce jour-là, de nos bords ― bonheur trop éphémère ―
Montait un cri de joie immense et triomphant :
C’était l’enfant perdu qui retrouvait sa mère ;
C’était la mère en pleurs embrassant son enfant !
La France nous avait laissés grandir loin d’elle,
Nous léguant son nom seul avec son souvenir ;
Et le pauvre orphelin, à tous les deux fidèle,
N’avait su, dans son cœur, qu’absoudre et que bénir.
Il avait tout gardé, ses antiques franchises,
Et son culte et sa langue, et ― peuple adolescent ―
Montrait avec orgueil ses libertés conquises,
A coté de ses droits scellés avec son sang.
Ce beau jour fut pour nous presque la délivrance ;
L’embrassement fut long ; on pleurait à genoux ;
Car, si nous étions fiers de notre belle France,
Notre France, elle aussi, pouvait l’être de nous !
Saintes émotions ! ― quand villes et banlieues
Illuminaient leurs tours, pavoisaient leurs maisons,
Au loin, sur un rayon de plus de trente lieues,
On voyait accourir, de tous les horizons,
Des vieillards, des enfants et des femmes timides,
Qui, sac au dos, à pied sur les chemins rugueux,
Venaient, en essuyant leurs paupières humides,
Revoir flotter au vent le drapeau des aïeux.
Nos poètes chantaient la France revenue ;
Et le père, à l’enfant qu’étonnait tout cela,
Disait : ― Ce pavillon qui brille dans la nue,
― Incline-toi, mon fils ! ― c’est à nous celui-là !
Et, lorsque la frégate avec la forteresse
Échangeaient des saluts de leurs tonnantes voix,
Tous ces cœurs délirants tressaillaient d’allégresse
En croyant retrouver les échos d’autrefois.
Oh ! c’est que ce vaisseau, c’était la France même
― Aigle immense un instant repliant son essor ―
Qui revenait à nous, disant : ― J’aime qui m’aime ;
Vous êtes mes enfants, et je vous aime encor !
Elle nous l’a prouvé ; ni la Capricieuse
Ni ces nobles marins n’ont revu nos clochers ;
Mais la France, depuis, fut pour nous soucieuse,
Et son cœur et sa main nous ont toujours cherchés.
Et nous, quand elle allait, au fronton de l’histoire,
Inscrire avec son sang quelque éclatant succès,
Nous sonnions triomphants nos clairons de victoire,
Car c’étaient nos soldats que les soldats français.
Et puis, quand le malheur vint fondre sur ses armes,
Quand le noble vaisseau sombra sur un écueil,
La France plus que nous n’a pas versé de larmes ;
La France mieux que nous n’a point porté le deuil !
Salut donc à vous tous, ô Français, ô nos frères !
Nous vous serrons la main avec un doux émoi
Nos rives ne sont plus à la France étrangères ;
Et qui vient de chez elle est parmi nous chez soi
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