Devant la mer, assis au seuil de leur maison,
La veuve du marin et son jeune garçon
Sont en grand deuil. Hélas ! l’équinoxe d’automne
A fait d’affreux malheurs sur la côte bretonne ;
Et c’est pourquoi, rêveurs devant le ciel du soir,
Cette femme et son fils sont habillés de noir.
Ah ! dans ce lac paisible où, sous la brise fraîche,
Viennent de s’éloigner les fins bateaux de pêche
Dont les voiles, là-bas, blanchissent dans le ciel,
Nul ne reconnaîtrait cet Océan cruel
Qui, l’an dernier, pendant la grande marée haute,
En un jour, a broyé vingt barques sur la côte,
Et, parmi tant de deuils dont le pays est plein,
A navré cette femme et fait cet orphelin.
Le ciel peut être pur, la mer peut être belle,
La veuve du marin est sombre et se rappelle
L’effroyable tempête où son homme a péri
― C’est aussi de sa faute, à mon pauvre mari,
Dit-elle en soupirant à son fils qui l’écoute,
Il faut porter secours aux malheureux, sans doute,
Et nul ne l’a plus fait que mon pauvre Mathieu.
Mais affronter ainsi la mort, c’est tenter Dieu !
On n’avait jamais vu de pareille marée.
Ton père était chez nous ; sa barque était rentrée ;
Il disait, en mangeant sa soupe ; Il faut qu’on soit
Maudit pour être en mer par ce vent de noroit !
Après dîner, Mathieu prend sa pipe et l’allume
Et va fumer dehors, comme il avait coutume.
Là, malgré le gros temps, ils étaient quelques-uns
Qui regardaient sauter et mousser les embruns,
Quand tout à coup, voilà que mon homme remarque,
Du côté des rochers Saint-Pierre, un trois-mâts barque
Doux Jésus ! Ce ne fut pas long. En un clin d’oeil
Le malheureux navire échoua sur l’écueil.
― Un canot ! dit Mathieu J’étais épouvantée ;
Les autres lui montraient cette mer démontée
Et la lame en fureur qui crachaient des galets.
― Un canot ! répétait ton père. Sauvons-les !
Un canot à la mer, ou nous sommes des lâches !
Le mien, si vous voulez ; car aux plus rudes tâches
Il est bon ; il ne craint ni le flot ni le vent,
Et je l’ai baptisé d’un beau nom : En avant !
Ah ! les hommes sont fous, mon Tiennot ! Ils partirent.
Et tous ont péri, tous A l’heure où se retirent
Les vagues, tu m’as vue aller, tout cet hiver,
Chaque jour, aussi loin que va la basse mer.
Mais l’Océan qui meurt à mes pieds et les lave
N’a jamais rejeté la plus petite épave,
Pas plus du grand trois-mâts que du pauvre canot
O mon mignon chéri ! Pauvre petit Tiennot !
Ne va plus sur la mer tu sais, j’ai ta promesse
Monsieur le recteur t’aime et tu lui sers sa messe ;
Il t’apprend l’écriture Eh bien, c’est ton destin,
Tu deviendras un prêtre et parleras latin.
Et puis, loin de ces flots dont le bruit m’épouvante,
Quand tu seras curé, je serais ta servante.
Ne te fais pas marin ! D’ailleurs, tu m’as promis
L’enfant se tait. Il songe à ses petits amis,
A ces gamins qu’il voit, dès que le matin brille
A bord d’une chaloupe, aller à la godille,
Tandis qu’il n’ose plus, le craintif orphelin,
Pousser un aviron ni nouer un grelin.
Il a promis, il veut obéir à sa mère,
Mais, lorsque le curé, refermant sa grammaire,
Lui dit : ― Va-t-en jouer ! et qu’il est libre enfin,
Troussé jusqu’aux genoux et sur le sable fin
Marchant pieds nus, il court bien vite vers la grève,
Et le fils du marin cherche à tromper son rêve.
Mais sentir l’âpre vent souffler dans ses cheveux
Et l’eau froide monter sur ses mollets nerveux,
Voir au loin le gros coup et la lame mauvaise
Éclater en couvrant d’écume la falaise,
Remplir tout un panier de crevettes, chercher
Quelque hideux homard tapi sous un rocher,
Ou saisir le lançon dans sa fuite rapide,
Cela ne suffit pas à l’enfant intrépide.
Non, son ardent désir, c’est le bateau mouvant
Avec sa voile ronde et ses deux focs au vent
Et le lest de galets humides qui le charge,
C’est la course au lointain horizon, c’est le large
Avec sa forte houle et son grand souffle amer,
C’est l’ivresse d’aller sur cette vaste mer,
Dont le parfum le grise et le rhythme l’attire
Et voilà de longs mois que dure ce martyre !
Mais le temps passe. Encore un équinoxe affreux !
Et les marins du port, un jour, causant entre eux,
Tout comme l’an dernier, sur la mer en délire,
Viennent de signaler un malheureux navire,
― Un brick, cette fois-ci, ― qui touche le récif.
A chaque lame, il fait ce sursaut convulsif
Qu’on pourrait appeler le râle du naufrage.
― Un canot à la mer ! des hommes de courage !
Dit quelqu’un. Aucun n’a pu, certe, oublier
Les camarades morts de l’automne dernier.
Mais voilà qu’on entoure une barque et qu’on l’arme,
La mère de Tiennot est là, pleine d’alarme,
Elle étreint son garçon et lui redit tout bas :
― Tu sais, tu me l’as bien promis tu n’iras pas !
Et, les yeux dilatés et se mordant la bouche,
L’enfant ne répond rien et regarde farouche,
Les braves compagnons qui parent le bateau.
Tout à coup, une lourde et sombre masse d’eau
S’écroule avec fracas, couvrant tout de sa bave,
Et devant l’orphelin elle jette une épave,
Une planche pourrie et rongée où l’enfant
A déjà distingué ces deux mots : En avant !
L’Atlantique a tiré du fond de son repaire
Ce débris de bateau. C’est un ordre du père !
Les sauveteurs sont prêts ; ils poussent leur canot ;
Et s’arrachant des bras de sa mère, Tiennot
Saute auprès d’eux, saisit à la hâte une rame
Et les voilà partis avec l’énorme lame !
Comme on les suit des yeux ! Hardi, là ! Comment ils vont !
Sainte Vierge ! voyez cette lame de fond
Ils ont chaviré Non, le canot se redresse
Il va toucher, il touche au navire en détresse
Il était temps, le brick se penche à faire peur
Ils reviennent déjà ! Voilà des gens de coeur !
Qu’ils sont chargés, ils ont de l’eau jusqu’au bordage
― Combien en avez-vous sauvé ? ― Tout l’équipage !
― Hurrah ! ― Vite ! jetez une corde Aidez-nous
Et tandis que, joyeux, sautent sur les cailloux
Sauveteurs et sauvés, parmi l’écume amère,
Le brave enfant Tiennot dit à sa pauvre mère
Qui, des ses bras brisés, l’entoure en sanglotant ;
― Maman, ne gronde pas Le père est si content !
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