À Remy de Gourmont.
Au mois de Mars (le Bélier ? ) on sème
le trèfle, les carottes, les choux et la luzerne.
On cesse de herser, et l’on met de l’engrais
au pied des arbres et l’on prépare les carrés.
On finit de tailler la vigne où l’on met en place,
après l’avoir aérée, les échalas.
Pour les bestiaux les rations d’hiver finissent.
On ne mène plus, dans les prairies, les génisses
qui ont de beaux yeux et que leurs mères lèchent,
mais on leur donnera des nourritures fraîches.
Les jours croissent d’une heure cinquante minutes.
Les soirées sont douces et, au crépuscule,
les chevriers traînards gonflent leurs joues aux flûtes.
Les chèvres passent devant le bon chien
qui agite la queue et qui est leur gardien.
Si la pleine lune le veut, la PASSION échoit
vers le milieu ou vers la fin de ce beau mois.
Ensuite vient le beau dimanche des RAMEAUX.
Quand j’étais enfant, on m’y attachait des gâteaux,
et j’allais à vêpres, docile et triste.
Ma mère disait : dans mon pays il y avait des olives
Jésus pleurait dans le jardin des oliviers
On était allé, en grande pompe, le chercher
À Jérusalem, les gens pleuraient en criant son nom
Il était doux comme le Ciel, et son petit ânon
trottinait joyeusement sur les palmes jetées.
Des mendiants amers sanglotaient de joie,
en le suivant, parce qu’ils avaient la foi
De mauvaises femmes devenaient bonnes
en le voyant passer avec son auréole
si belle qu’on croyait que c’était le soleil.
Il avait un sourire et des cheveux en miel.
Il a ressuscité des morts Ils l’ont crucifié
Je me souviens de cette enfance et des vêpres,
et je pleure, le gosier serré, de ne plus être
ce tout petit garçon de ces vieux mois de Mars,
de n’être plus dans l’église du village
où je tenais l’encens à la procession
et où j’écoutais le curé dire la PASSION.
Il te sera agréable, au mois de Mars,
d’aller avec ton amie sur les violettes noires.
À l’ombre, vous trouverez les pervenches bleu de lait
qu’aimait Jean-Jacques, le triste passionné.
Dans les bois, vous trouverez la pulmonaire
dont la fleur est violette et vin, la feuille vert-
de-gris, tachée de blanc, poilue et très rugueuse.
Il y a sur elle une légende pieuse ;
la cardamine où va le papillon-aurore,
l’isopyre légère et le noir ellébore,
la jacinthe qu’on écrase facilement
et qui a, écrasée, de gluants brillements ;
la jonquille puante, l’anémone et le narcisse
qui fait penser aux neiges des berges de la Suisse ;
puis le lierre-terrestre bon aux asthmatiques.
Si ton amie est jeune et a les jambes fines,
et si son corps est une douce et simple ligne
de lumière qui bouge à peine, et glisse,
le mois de Mars sera à tes amours propice,
car sa lumière est pure et s’accorde aux bras lisses.
L’épaule de ton amie sera plus luisante
et tout son corps sera comme une source blanche
qui, de la tête aux pieds, se gonfle sur la hanche.
Si, lassé d’amour, on retourne à la chasse,
on peut tuer encore quelques bécasses.
Ami, je t’invite, dans mon modeste asile,
si tu es fatigué des choses de la ville,
à venir simplement goûter le mois de Mars.
Nous ne distinguerons pas la vie d’avec l’art.
Mais s’il te plaît, ayant bu clair, de me dire
de beaux vers où tu auras vanté le sourire
de celle qui t’a donné sa gorge de raisin,
je te remercierai et te tendrai la main.
1896.
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