À Puvis de Chavannes.
I
Au matin, bien reposée,
Tu fuis, rieuse, et tu cueilles
Les muguets blancs, dont les feuilles
Ont des perles de rosée.
Les vertes pousses des chênes
Dans ta blonde chevelure
Empêchent ta libre allure
Vers les clairières prochaines.
Mais tu romps, faisant la moue,
L'audace de chaque branche
Qu'attiraient ta nuque blanche
Et les roses de ta joue.
Ta robe est prise à cet arbre,
Et les griffes de la haie
Tracent parfois une raie
Rouge, sur ton cou de marbre.
II
Laisse déchirer tes voiles.
Qui es-tu, fraîche fillette,
Dont le regard clair reflète
Le soleil et les étoiles ?
Maintenant te voilà nue.
Et tu vas, rieuse encore,
Vers l'endroit d'où vient l'aurore ;
Et toi, d'où es-tu venue ?
Mais tu ralentis ta course
Songeuse et flairant la brise.
Délicieuse surprise,
Entends le bruit de la source.
Alors frissonnante, heureuse
En te suspendant aux saules,
Tu glisses jusqu'aux épaules,
Dans l'eau caressante et creuse.
Là-bas, quelle fleur superbe !
On dirait comme un lys double ;
Mais l'eau, tout autour est trouble
Pleine de joncs mous et d'herbe.
III
Je t'ai suivie en satyre,
Et caché, je te regarde,
Blanche, dans l'eau babillarde ;
Mais ce nénuphar t'attire.
Tu prends ce faux lys, ce traître.
Et les joncs t'ont enlacée.
Oh ! mon coeur et ma pensée
Avec toi vont disparaître !
Les roseaux, l'herbe, la boue
M'arrêtent contre la rive.
Faut-il que je te survive
Sans avoir baisé ta joue ?
Alors, s'il faut que tu meures,
Dis-moi comment tu t'appelles,
Belle, plus que toutes belles !
Ton nom remplira mes heures.
Ami, je suis l'Espérance.
Mes bras sur mon sein se glacent.
Et les grenouilles coassent
Dans l'étang d'indifférence.
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