Misère
Petrus BOREL

Poème Misère

La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré.
GILBERT.

A mon air enjoué, mon rire sur la lèvre,
Vous me croyez heureux, doux, azime et sans fièvre,
Vivant, au jour le jour, sans nulle ambition,
Ignorant le remords, vierge d’affliction ;
A travers les parois d’une haute poitrine,
Voit-on le cœur qui sèche et le feu qui le mine ?
Dans une lampe sourde on ne saurait puiser :
Il faut, comme le cœur, l’ouvrir ou la briser.

Aux bourreaux, pauvre André, quand tu portais ta tête,
De rage tu frappais ton front sur la charrette,
N’ayant pas assez fait pour l’immortalité,
Pour ton pays, sa gloire et pour sa liberté.
Que de fois, sur le roc qui borde cette vie,
Ai-je frappé du pied, heurté du front d’envie,

Criant contre le ciel mes longs tourments soufferts :
Je sentais ma puissance, et je sentais des fers !

Puissance,… fers,… quoi donc ? — rien ! encore un poëte
Qui ferait du divin, mais sa muse est muette,
Sa puissance est aux fers. — Allons ! on ne croit plus,
En ce siècle voyant, qu’aux talents révolus.
Travaille : on ne croit plus aux futures merveilles. —
Travaille !… Eh ! le besoin qui me hurle aux oreilles,
Étouffant tout penser qui se dresse en mon sein !
Aux accords de mon luth que répondre ?… j’ai faim !…