À Alphonse Brot, poète.
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J’écoutai longtemps, et je me persuadai bientôt
que cette harmonie était moi…
BUFFON.
Oh ! que j’aime à rêver, seul, amoureusement,
A ma large croisée au vent du soir béante !
Libre de tous soucis, dans le vague flottante,
Mon, âme alors s’entr’ouvre au plus doux sentiment.
Sous les doigts aimantins de ce muet délire,
Ma nature s’émeut, vibre comme un lyre !
Là, penché dans les fleurs d’un large abricotier,
Dont les rameaux épais attouchent les murailles,
De l’astre, roi du jour, j’assiste aux funérailles
Que célèbre au lointain la cloche d’un moutier,
Poursuivant du regard le corbeau, le phalène,
Ou le mulet pesant attardé dans la plaine.
Mais surtout nul pinceau ne rendrait mon transport,
Quand, parmi les rameaux, quelque sylphide blanche
M’apparaît, m’éblouit ! semblant débranche en branche
Glisser comme un oiseau ; quand sa voix, doux accord,
Hautbois harmonieux qui lutine et qui joue,
Monte comme un parfum et caresse ma joue !
En extase, enivré, je n’ai plus rien d’humain.
Sur mon corps allégi mon âme se déborde,
Goutte à goutte en rosée ; et, semblable à la corde
D’un théorbe d’argent palpitant sous la main
D’un ange prosterné… sous mes pieds fuit la terre :
Je ne suis plus qu’un son ! un reflet ! un mystère !…
Peut-être vous riez tout bas de ce pouvoir
Si magique et puissant d’une voix sur mon âme ?
Le simple frôlement d’une robe de femme
Qui se hâte à lu nuit, suffit pour m’émouvoir.
Une main à bijoux, une gorge où ruissellent
Des perles, des joyaux, me charment, m’ensorcellent !
Ah ! s’il était un cœur ignorant et naïf
Qui n’ait pas ressenti ces philtres, ces ivresses ?
Qui, n’étant pas blasé par le vin, les maîtresses,
Trouve au soleil couchant, un plaisir assez vif…
Qu’il vienne ; je l’attends demain : à ma croisée
Bientôt il sentira sa jeune âme embrasée.