Poème Ariane

À Jean Moréas.

Trêve aux plaintes, assez de sanglots;
Ce triste cœur est dévasté de larmes;
Et devenu pareil à un champ de combat,
Où la trahison de l’amant –
Sous son glaive aux éclairs meurtriers –
Coucha toutes les jeunes et puissantes joies
Mortes, baignées dans leur sang.
Et parmi tes roches plus clémentes
Que l’âme criminelle de Thésée,
Sur ton sol muet, ô farouche Naxos!
Ariane s’endort;
Tandis que sur la mer complice,
A l’horizon s’effacent
Les voiles blanches des trirèmes.
Elle dort. Les mélancoliques roses
Nées sous les pleurs,
Font albatréen son beau visage.
Et sur ses bras nus, aux joyaux barbares,
Frémissent les papillons d’ombre saphirine,
Que projettent les sapins
Dans le soir tombant. –
Le ciel a revêtu ses plus riches armures
D’or et de bronze.

Mais, voici approcher le char
Et retenir les sistres;
Et voici le Dieu charmant
Dionisos,
Couronné du gai feuillage
Pris à la vigne sacrée.
Et, cependant que l’agreste troupe
Des Faunes et des Satyres
Demeure auprès des outres pleines,
Dionisos approche.
Sa nudité a la grâce triomphale
De l’impérissable jeunesse;
Et sa chevelure de lumière
S’embaume des aromates
Conquis aux Indes lointaines.
Au rythme prestigieux de sa marche,
Ses cuisses de héros
Ont l’ondoyance voluptueuse des vagues;
Et le geste de son bras victorieux qui porte
Le thyrse saint
Montre la toison fauve de son aisselle,
Attestant l’androgyne nature
De l’Animale – Divinité.

Ariane endormie est pareille
A une neigée de clairs lotus.
Le Dieu ravi
S’émeut de délire célestement humain;
Et sa caresse comme un aigle s’abat
Sur le sein ingénu de la dormante belle,
Qui s’éveille alors.
Mais la flamme des yeux noirs
Du Dieu qui règne sur les sublimes ivresses
A consumé dans le cœur d’Ariane
Les douleurs anciennes;
Et séduite, elle se donne
Aux immortelles amours
Du Dieu charmant
Dionisos.