Poème La nuit

(extraits)

Paisible et solitaire Nuit,
Sans Lune et sans Étoiles,
Renferme le Jour qui me nuit
Dans tes plus sombres voiles ;
Hâte tes pas, Déesse exauce-moi,
J'aime une Brune comme toi.

Ha ! voilà le jour achevé,
Il faut que je m'apprête ;
L'Astre de Vénus est levé
Propice à ma requête ;
Si bien qu'il semble en se montrant si beau
Me vouloir servir de flambeau.

L'artisan las de travailler,
Délaisse son ouvrage ;
Sa femme qui le voit bâiller
En rit en son courage,
Et l'oeilladant s'apprête à recevoir
Les fruits du nuptial devoir.

Les Chats presque enragés d'amour,
Grondent dans les gouttières ;
Les loups-garous fuyant le jour
Hurlent aux Cimetières :
Et les Enfants transis d'être tout seuls,
Couvrent leurs têtes de linceuls.

Le Clochetteur des trépassés
Sonnant de rue en rue,
De frayeur rend leurs coeurs glacés,
Bien que leur corps en sue ;
Et mille Chiens oyant sa triste voix
Lui répondent à longs abois.

Ces tons ensemble confondus,
Font des accords funèbres,
Dont les accents sont épandus
En l'horreur des ténèbres
Que le Silence abandonne à ce bruit
Qui l'épouvante, et le détruit.

Tous ces vents qui soufflaient si fort
Retiennent leurs haleines,
Il ne pleut plus, la foudre dort,
On n'oit que les fontaines,
Et le doux son de quelques luths charmants
Qui parlent au lieu des Amants.

Je ne puis être découvert,
La Nuit m'est trop fidèle ;
Entrons, je sens l'huis entrouvert,
J'aperçois la chandelle ;
Dieux ! qu'est ceci ? je tremble à chaque pas,
Comme si j'allais au trépas.

Ô toi ! dont l’oeil est mon vainqueur,
Sylvie, eh ! que t’en semble ?
Un homme qui n’a point de coeur
Ne faut-il pas qu’il tremble ?
Je n’en ai point, tu possèdes le mien ?
Me veux-tu pas donner le tien ?