À la comtesse de P
Seulement !
Si mon coeur faisait ses mémoires
Je crois que j’y mettrais ceci :
Elle avait des dentelles noires
Avec un jupon cramoisi.
C’était ravissant ! - Les donzelles
De ce soir et de ce salon,
Se pâmaient devant ces dentelles
Mais, moi, j’aimais mieux le jupon.
Ce jupon, c’était ma folie !
Je le trouvais délicieux
Je n’avais rien vu, de ma vie,
Qui m’enchantât autant les yeux.
Et je m’effrayais dans mon âme
De ce charme de la couleur.
La jupe est si près de la femme,
Et les yeux sont si près du coeur !
L’avait-elle vu ? Je l’ignore,
Je ne sais mais je sais aussi
Qu’hier, elle est venue encore
Avec son jupon cramoisi !
Et pour plaire à mon goût sauvage,
Elle avait, de ses doigts charmants,
Oté, point par point, l’étalage
Des dentelles de ses volants !
J’avais donc occupé son âme
(Occuper l’âme, c’est l’amour
Pour cette rêveuse, - la femme !),
Je l’avais occupée un jour.
Le temps d’enlever ces dentelles
Qui, pour les femmes, talisman,
Faisaient pousser aux demoiselles
De véritables cris de paon !
En les ôtant que pensait-elle ?
Disait-elle, baissant les yeux :
Pour elles, je serai moins belle,
Mais à Lui, - je lui plairai mieux !
Mystère charmant qui m’occupe !
A-t-elle dit en son émoi :
Si l’amour qu’il a pour ma jupe,
De ma jupe passait à moi !
Reste impénétrable, ô mystère !
Parfois à leur esprit charmé
On est assez heureux pour plaire
Mais pas assez pour être aimé
Et si c’était là mon histoire !
Si je crus être aimé ! Mais si,
Madame, j’eus tort de le croire ?
Remettez la dentelle noire
A votre jupon cramoisi !