Élégie à Henry Doucet
Charles Vildrac

Poème Élégie à Henry Doucet

Tué le 11 mars 1915

I

Le Peuple est vaste, obscur et incliné,
Incliné toujours,
Sur le labeur et sur la pitance et sur les berceaux.

C'est une forêt drue, basse et puissante
Qui ramène au sol ses rameaux noueux
Où s'accumule une âme qui s'ignore.

Mais le temps vient, ici et là,
Le temps vient d'une branche élue
Qui ressurgit du noir humus
Et tout droit s'élève,
Avec les efforts de qui sait l'effort,
Avec les vertus gardées dans la sève,
Et va délivrer, haut dans l'azur,
Les rêves longtemps repliés
Dans les feuilles longtemps captives.

O Peuple, il sort ainsi de toi
Des fils aux yeux avides !

Des siècles d'humbles labeurs
Et d'amour minutieux
Ont amassé dans leur poitrine
Un chant qui déborde et s'élance.

Qui mieux qu'eux serait ton témoin,
Beauté du Monde ?
Quelle autre voix mieux que leur voix
Contient ton rire et ta colère.
Le sanglot de ta vieille peine,
Forêt si vieille et toujours verte.
Apre et chaude forêt des hommes ?

Mon ami, c'est toi que j'évoque,
Frêle ouvrier de quatorze ans
Si résolu, si appliqué,
Henri Doucet de Châtellerault,
Elève à l'école du soir.

Pour que tu aies été celui que tu devins,
Coeur attentif, savoir, esprit sagace,
Danse et chant, prière et soleil,
Pour que tu aies été un peintre et un poète,

Il n'avait pas suffi, pour toi de quinze années
D'allègre pauvreté, d'études têtues
Et d'efforts éblouis et lents à la conquête,
A l'ascension de ton art et de toi-même ;

Il n'avait pas suffi de toi devenant homme
Après avoir été un héroïque enfant.

Il avait aussi fallu,
Dans le passé, que des hommes
Avec des yeux comme les tiens,
- Dix ou vingt hommes, qui sait.
Jalonnés au long des temps