À Henri Cazalis.
Plus haut que le vol des ibis
Et la pointe des granits roses,
Et les pyramides moroses,
Et le vieux temple d’Anubis,
Des âmes rêvent, endormies :
Les âmes d’hommes anciens
Qui furent les Égyptiens
Et ne sont plus que les momies.
- Elles rêvent, - et doucement,
Sur le sistre étoile des nues,
Modulent des chansons connues
Du peuple des morts seulement.
C’est une musique sans nom
Pareille à celle que l’argile
- Dès qu’aux cieux montait l’aube agile,
- Chantait aux lèvres de Memnon :
Quand les jours seront révolus,
Revêtirons-nous la jeunesse ?
- Ils sont si lents qu’on ne sait plus
S’il est assuré qu’on renaisse.
Vêtus comme des chrysalides
Et cachés au fond des tombeaux,
Sous leurs bandelettes solides
Nos corps restent fermes et beaux.
Mais si le temps vient de l’oubli,
Pourrons-nous bien les reconnaître ?
- Pour être mieux enseveli,
En est-on plus sûr de renaître ?
Sans doute les portes sacrées,
Les cent portes d’or de Memphis
Depuis longtemps sont demeurées
Ouvertes sur nos derniers fils,
Et des reptiles sont venus
Qui, sous leurs armures squameuses,
Ont fait glisser leurs ventres nus
Tout le long de ses tours fameuses ;
Des crocodiles faméliques
Qui, sur la pierre las d’errer,
Auront englouti les reliques
Où nos souffles devaient rentrer !
Faudra-t-il, pour reconquérir
Le terrestre habit de nos âmes,
A notre tour faisant mourir,
Fouiller des sépulcres infâmes ?
Mieux vaut, loin du fleuve et des îles,
A travers les sables brûlés
Fuir et, pour suprêmes asiles,
Chercher des corps inviolés ;
Et, dans les mêmes noeuds charnels
S’il nous faut, deux à deux, descendre,
Unir deux souffles fraternels
Pour échauffer la même cendre.
Car des voluptés réveillées
Les saints pouvoirs se doubleront
Quand deux âmes appareillées
Dans un même corps s’aimeront.
Pour nous le réveil peut venir :
Prêts aux divines fantaisies,
Au doux pays du souvenir
Nos soeurs par nous seront choisies,
Pour qu’il se fasse vérité
Le rêve qu’on rêvait ensemble
De deux chairs qu’un baiser rassemble
Et confond pour l’éternité !
Quand les temps seront révolus,
Revêtirons-nous la jeunesse ?
- Ils sont si lents qu’on ne sait plus
S’il est assuré qu’on renaisse.