La Tour de Nesle
Aloysius Bertrand

Poème La Tour de Nesle



- » Valet de trèfle ! » – » Dame de pique ! de gagne ! » -
Et le soudard qui perdait envoya d’un coup de poing sur
la table son enjeu au plancher.

Mais alors messire Hugues, le prévôt, cracha dans le bra-
sier de fer avec la grimace d’un cagou qui a avalé une
araignée en mangeant sa soupe.

- » Pouah ! les chaircuitiers, échaudent-ils leurs cochons
à minuit ? Ventre-dieu ! c’est un bateau de feurre qui
brûle en Seine ! »

L’incendie, qui n’était d’abord qu’un innocent follet
égaré dans les brouillards de la rivière, fut bientôt
un diable à quatre tirant le canon et force arquebusades
au fil de l’eau.

Une foule innombrable de turlupins, de béquillards, de
gueux de nuit, accourus sur la grève, dansaient des gigues
devant la spirale de flamme et de fumée.

Et rougeoyaient face à face la tour de Nesle, d’où le
guet sortit, l’escopette sur l’épaule, et la tour du
Louvre d’où, par une fenêtre, le roi et la reine voyaient
tout sans être vus.