Taisez-vous, ô mon coeur ! taisez-vous, ô mon âme !
Et n’allez plus chercher de querelles au sort ;
Le néant vous appelle et l’oubli vous réclame.
Mon coeur, ne battez plus, puisque vous êtes mort ;
Mon âme, repliez le reste de vos ailes,
Car vous avez tenté votre suprême effort.
Vos deux linceuls sont prêts, et vos fosses jumelles
Ouvrent leur bouche sombre au flanc de mon passé,
Comme au flanc d’un guerrier deux blessures mortelles.
Couchez-vous tout du long dans votre lit glacé ;
Puisse avec vos tombeaux, que va recouvrir l’herbe,
Votre souvenir être à jamais effacé !
Vous n’aurez pas de croix ni de marbre superbe,
Ni d’épitaphe d’or, où quelque saule en pleurs
Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe.
Vous n’aurez ni blasons, ni chants, ni vers, ni fleurs ;
On ne répandra pas les larmes argentées
Sur le funèbre drap, noir manteau des douleurs.
Votre convoi muet, comme ceux des athées,
Sur le triste chemin rampera dans la nuit ;
Vos cendres sans honneur seront au vent jetées.
La pierre qui s’abîme en tombant fait son bruit ;
Mais vous, vous tomberez sans que l’onde s’émeuve,
Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit.
Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve,
Nul ne s’apercevra que vous soyez absents,
Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve.
Et le chaste secret du rêve de vos ans
Périra tout entier sous votre tombe obscure
Où rien n’attirera le regard des passants.
Que voulez-vous ? hélas ! notre mère Nature,
Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés,
Et pour les malvenus elle est avare et dure.
Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés !
L’occasion leur est toujours bonne et fidèle :
Ils trouvent au désert des palais enchantés ;
Ils tettent librement la féconde mamelle ;
La chimère à leur voix s’empresse d’accourir,
Et tout l’or du Pactole entre leurs doigts ruisselle.
Les autres moins aimés, ont beau tordre et pétrir
Avec leurs maigres mains la mamelle tarie,
Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir.
S’il éclôt quelque chose au milieu de leur vie,
Une petite fleur sous leur pâle gazon,
Le sabot du vacher l’aura bientôt flétrie.
Un rayon de soleil brille à leur horizon,
Il fait beau dans leur âme ; à coup sûr, un nuage
Avec un flot de pluie éteindra le rayon.
L’espoir le mieux fondé, le projet le plus sage,
Rien ne leur réussit ; tout les trompe et leur ment.
Ils se perdent en mer sans quitter le rivage.
L’aigle, pour le briser, du haut du firmament,
Sur leur front découvert lâchera la tortue,
Car ils doivent périr inévitablement.
L’aigle manque son coup ; quelque vieille statue,
Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi,
Quitte son piédestal, les écrase et les tue.
Le coeur qu’ils ont choisi ne garde pas sa foi ;
Leur chien même les mord et leur donne la rage ;
Un ami jurera qu’ils ont trahi le roi.
Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ;
D’un bout du monde à l’autre ils courent à leur mort ;
Ils auraient pu du moins s’épargner le voyage !
Si dur qu’il soit, il faut qu’ils remplissent leur sort ;
Nul n’y peut résister, et le genou d’Hercule
Pour un pareil athlète est à peine assez fort.
Après la vie obscure une mort ridicule ;
Après le dur grabat, un cercueil sans repos
Au bord d’un carrefour où la foule circule.
Ils tombent inconnus de la mort des héros,
Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille,
Se fait effrontément un socle de leurs os.
Sur son trône d’airain, le Destin qui s’en raille
Imbibe leur éponge avec du fiel amer,
Et la Nécessité les tord dans sa tenaille.
Tout buisson trouve un dard pour déchirer sa chair,
Tout beau chemin pour eux cache une chausse-trappe,
Et les chaînes de fleurs leur sont chaînes de fer.
Si le tonnerre tombe, entre mille il les frappe ;
Pour eux l’aveugle nuit semble prendre des yeux,
Tout plomb vole à leur coeur, et pas un seul n’échappe.
La tombe vomira leur fantôme odieux.
Vivants, ils ont servi de bouc expiatoire ;
Morts, ils seront bannis de la terre et des cieux.
Cette histoire sinistre est votre propre histoire ;
Ô mon âme ! ô mon cœur ! Peut-être même, hélas !
La vôtre est-elle encor plus sinistre et plus noire.
C’est une histoire simple où l’on ne trouve pas
De grands événements et des malheurs de drame,
Une douleur qui chante et fait un grand fracas ;
Quelques fils bien communs en composent la trame,
Et cependant elle est plus triste et sombre à voir
Que celle qu’un poignard dénoue avec sa lame.
Puisque rien ne vous veut, pourquoi donc tout vouloir ;
Quand il vous faut mourir, pourquoi donc vouloir vivre,
Vous qui ne croyez pas et n’avez pas d’espoir ?
Ô vous que nul amour et que nul vin n’enivre,
Frères désespérés, vous devez être prêts
Pour descendre au néant où mon corps vous doit suivre !
Le néant a des lits et des ombrages frais.
La mort fait mieux dormir que son frère Morphée,
Et les pavots devraient jalouser les cyprès.
Sous la cendre à jamais, dors, ô flamme étouffée !
Orgueil, courbe ton front jusque sur tes genoux,
Comme un Scythe captif qui supporte un trophée.
Cesse de te raidir contre le sort jaloux,
Dans l’eau du noir Léthé plonge de bonne grâce,
Et laisse à ton cercueil planter les derniers clous.
Le sable des chemins ne garde pas ta trace,
L’écho ne redit pas ta chanson, et le mur
Ne veut pas se charger de ton ombre qui passe.
Pour y graver un nom ton airain est bien dur,
Ô Corinthe ! et souvent froide et blanche Carrare,
Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur.
Il faut un grand génie avec un bonheur rare
Pour faire jusqu’au ciel monter son monument,
Et de ce double don le destin est avare.
Hélas ! et le poète est pareil à l’amant,
Car ils ont tous les deux leur maîtresse idéale,
Quelque rêve chéri caressé chastement :
Eldorado lointain, pierre philosophale
Qu’ils poursuivent toujours sans l’atteindre jamais,
Un astre impérieux, une étoile fatale.
L’étoile fuit toujours, ils lui courent après ;
Et, le matin venu, la lueur poursuivie,
Quand ils la vont saisir, s’éteint dans un marais.
C’est une belle chose et digne qu’on l’envie
Que de trouver son rêve au milieu du chemin,
Et d’avoir devant soi le désir de sa vie.
Quel plaisir quand on voit briller le lendemain
Le baiser du soleil aux frêles colonnades
Du palais que la nuit éleva de sa main !
Il est beau qu’un plongeur, comme dans les ballades,
Descende au gouffre amer chercher la coupe d’or
Et perce, triomphant, les vitreuses arcades.
Il est beau d’arriver où tendait votre essor,
De trouver sa beauté, d’aborder à son monde,
Et, quand on a fouillé, d’exhumer un trésor ;
De faire, du plus creux de son âme profonde,
Rayonner son idée ou bien sa passion ;
D’être l’oiseau qui chante et la foudre qui gronde ;
D’unir heureusement le rêve à l’action,
D’aimer et d’être aimé, de gagner quand on joue,
Et de donner un trône à son ambition ;
D’arrêter, quand on veut, la Fortune et sa roue,
Et de sentir, la nuit, quelque baiser royal
Se suspendre en tremblant aux fleurs de votre joue.
Ceux-là sont peu nombreux dans notre âge fatal.
Polycrate aujourd’hui pourrait garder sa bague :
Nul bonheur insolent n’ose appeler le mal.
L’eau s’avance et nous gagne, et pas à pas la vague,
Montant les escaliers qui mènent à nos tours,
Mêle aux chants du festin son chant confus et vague.
Les phoques monstrueux, traînant leurs ventres lourds,
Viennent jusqu’à la table, et leurs larges mâchoires
S’ouvrent avec des cris et des grognements sourds.
Sur les autels déserts des basiliques noires,
Les saints, désespérés et reniant leur Dieu,
S’arrachent à pleins poings l’or chevelu des gloires.
Le soleil désolé, penchant son œil de feu,
Pleure sur l’univers une larme sanglante ;
L’ange dit à la terre un éternel adieu.
Rien ne sera sauvé, ni l’homme ni la plante ;
L’eau recouvrira tout : la montagne et la tour ;
Car la vengeance vient, quoique boiteuse et lente.
Les plumes s’useront aux ailes du vautour,
Sans qu’il trouve une place où rebâtir son aire,
Et du monde vingt fois il refera le tour ;
Puis il retombera dans cette eau solitaire
Où le rond de sa chute ira s’élargissant :
Alors tout sera dit pour cette pauvre terre.
Rien ne sera sauvé, pas même l’innocent.
Ce sera, cette fois, un déluge sans arche ;
Les eaux seront les pleurs des hommes et leur sang.
Plus de mont Ararat où se pose, en sa marche,
Le vaisseau d’avenir qui cache en ses flancs creux
Les trois nouveaux Adams et le grand patriarche !
Entendez-vous là-haut ces craquements affreux ?
Le vieil Atlas, lassé, retire son épaule
Au lourd entablement de ce ciel ténébreux.
L’essieu du monde ploie ainsi qu’un brin de saule ;
La terre ivre a perdu son chemin dans le ciel ;
L’aimant déconcerté ne trouve plus son pôle.
Le Christ, d’un ton railleur, tord l’éponge de fiel
Sur les lèvres en feu du monde à l’agonie,
Et Dieu, dans son Delta, rit d’un rire cruel.
Quand notre passion sera-t-elle finie ?
Le sang coule avec l’eau de notre flanc ouvert,
La sueur rouge teint notre face jaunie.
Assez comme cela ! nous avons trop souffert ;
De nos lèvres, Seigneur, détournez ce calice,
Car pour nous racheter votre Fils s’est offert.
Christ n’y peut rien : il faut que le sort s’accomplisse ;
Pour sauver ce vieux monde il faut un Dieu nouveau,
Et le prêtre demande un autre sacrifice.
Voici bien deux mille ans que l’on saigne l’Agneau ;
Il est mort à la fin, et sa gorge épuisée
N’a plus assez de sang pour teindre le couteau.
Le Dieu ne viendra pas. L’Église est renversée.
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