Au vieux palais des Tuileries,
Chargé déjà d’un grand destin,
Parmi le luxe et les féeries
Un Enfant est né ce matin.
Aux premiers rayons de l’aurore,
Dans les rougeurs de l’Orient,
Quand la ville dormait encore,
Il est venu, frais et riant,
Faisant oublier à sa mère
Les croix de la maternité,
Et réalisant la chimère
Du pouvoir et de la beauté.
Les cloches à pleines volées
Chantent aux quatre points du ciel ;
Joyeusement leurs voix ailées
Disent aux vents : Noël, Noël !
Et le canon des Invalides,
Tonnerre mêlé de rayons,
Fait partout aux foules avides
Compter ses détonations.
Au bruit du fracas insolite
Qui fait trembler son piédestal,
S’émeut le glorieux stylite
Sur son bronze monumental.
Les aigles du socle s’agitent,
Essayant de prendre leur vol,
Et leurs ailes d’airain palpitent
Comme au jour de Sébastopol.
Mais ce n’est pas une victoire
Que chantent cloches et canons ;
Sur l’Arc de Triomphe l’Histoire
Ne sait plus où graver des noms !
C’est un Jésus à tête blonde
Qui porte en sa petite main,
Pour globe bleu, la paix du monde
Et le bonheur du genre humain.
Sa crèche est faite en bois de rose,
Ses rideaux sont couleur d’azur ;
Paisible en sa conque il repose,
Car : Fluctuat nec mergitur.
Sur lui la France étend son aile ;
À son nouveau-né, pour berceau,
Délicatesse maternelle,
Paris a prêté son vaisseau.
Qu’un bonheur fidèle accompagne
L’Enfant impérial qui dort,
Blanc comme les jasmins d’Espagne,
Blond comme les abeilles d’or !
Oh ! quel avenir magnifique
Pour son enfant a préparé
Le Napoléon pacifique,
Par le voeu du peuple sacré !
Jamais les discordes civiles
N’y feront, pour des plans confus,
Sur l’inégal pavé des villes,
Des canons sonner les affûts.
Car la France, Reine avouée
Parmi les peuples, a repris
Le nom de France la louée,
Que lui donnaient les vieux écrits.
Futur César, quelles merveilles
Surprendront tes yeux éblouis,
Que cherchaient en vain dans leurs veilles
François, Henri Quatre et Louis !
À ton premier regard, le Louvre,
Profil toujours inachevé,
En perspective se découvre ;
Tu verras ce qu’on a rêvé !
Paris, l’égal des Babylones,
Dentelant le manteau des cieux
De dômes, de tours, de pylônes,
Entassement prodigieux,
Au centre d’une roue immense
De chemins de fer rayonnants,
Où tout finit et tout commence,
Mecque des peuples bourdonnants !
Civilisation géante,
Oh ! quels miracles tu feras
Dans la cité toujours béante
Avec l’acier de tes cent bras !
Isis, laissant lever ses voiles,
N’aura plus de secrets pour nous ;
La Paix, au front cerclé d’étoiles,
Bercera l’Art sur ses genoux ;
L’Ignorance, aux longues oreilles,
Bouchant ses yeux pour ne pas voir,
Devant ces splendeurs non pareilles
Se verra réduite à savoir ;
Et Toi, dans l’immensité sombre,
Avec un respect filial,
Au milieu des soleils sans nombre
Cherche au ciel l’astre impérial ;
Suis bien le sillon qu’il te marque,
Et vogue, fort du souvenir,
Dans ton berceau devenu barque
Sur l’océan de l’avenir !
16 mars 1856, midi.
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