Maintenant que Philis est morte
Et que l'amitié la plus forte
Dont un coeur fut jamais atteint
Est dans le sépulcre avec elle,
Je crois que l'amour le plus saint
N'a plus pour moi rien de fidèle.
Cloris, c'est mentir trop souvent:
Tes propos ne sont que du vent,
Tes regards sont tous pleins de ruses,
Tu n'as point pour tout d'amitié,
Je me moque de tes excuses,
Et t'aime moins de la moitié.
Je te vois toujours en contrainte,
Il te vient toujours quelque crainte,
Tu ne trouves jamais loisir;
Dis plutôt que je t'importune
Et que je te ferais plaisir
De chercher ailleurs ma fortune.
Ne fais plus semblant de m'aimer,
Et quoiqu'il me soit bien amer
De perdre une si douce flamme,
Si tu n'as point d'amour pour moi,
Je jure tes yeux et mon âme
De ne songer jamais à toi.
Je t'allais consacrer ma plume
Et te peindre dans un volume
Sur qui les ans ne peuvent rien;
Sache un peu de la renommée
Comment j'ai su dire du bien
D'une autre que j'avais aimée.
Mais cela ne te touche pas,
Les vers sont de mauvais appas,
Un roc n'en devient point passible;
Ce sont de faibles hameçons
Pour ton naturel insensible
Que lui promettre des chansons.
Que veux-tu plus que je te donne,
Aujourd'hui que Dieu m'abandonne,
Que le Roi ne me veut pas voir,
Que le jour me luit en colère,
Que tout mon bien est mon savoir?
De quoi plus te pourrais-je plaire?
Si mon mauvais sort peut changer,
Je jure de te partager
Les prospérités où j'aspire;
Et quand le Ciel me ferait roi,
Un présent de tout mon empire
Te ferait preuve de ma foi.
Mais tu n'as point l'esprit avare;
Et quelque dignité si rare
Qu'un Dieu même te vînt offrir,
Quelque tourment qu'il eût dans l'âme,
Tu le laisserais bien souffrir
Avant que soulager sa flamme.
Quant à moi, las de tant brûler,
Et si pressé de reculer,
J'ai désespéré de la place:
La nature ici vaut bien peu
Qu'un front de neige, un coeur de glace,
Puissent tenir contre le feu.
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