Le sage est retiré dans sa petite ville
Délivré des bavards et des sots, tourbe vile,
Et s'est dit, en voyant le monde: Allons-nous-en!
Comme il fut jadis bon soldat, bon artisan,
Et que ses actions furent une prière,
Sans nulle défaillance il regarde en arrière,
Et loin des appétits hagards et furieux,
Il écoute venir l'instant mystérieux.
Sitôt que l'aube rose est au ciel apparue,
Il fume à sa fenêtre ouverte sur la rue;
Il voit passer d'abord les ânes des âniers,
Puis les femmes portant des fruits dans leurs paniers.
Puis, il va faire un tour bien loin, dans la campagne;
Toujours la Solitude est sa chère compagne,
Et le guide, en rêvant sous les ombrages verts.
En marchant, il récite à voix basse des vers,
Puis il rentre, bercé par l'extase rhythmique,
Et ses larges poumons emplis d'air balsamique.
Parfois dans son oeil bleu passe un éclair soudain.
Au milieu des rosiers de son petit jardin,
Il s'enivre du vent qui murmure et qui pleure:
Il écoute là-bas Jacquemart sonner l'heure.
Il se repose à l'ombre épaisse d'un tilleul,
Et son livre à la main, pensif, car il est seul,
Il songe, il boit le vin farouche de l'Histoire.
Il a vu le mensonge heureux, la fausse gloire,
Et ne convoite rien de tous ces biens volés.
Sa femme et ses enfants, chers spectres envolés,
Seront toujours vivants en lui, mais il soupire.
Il lit Pindare, il lit Homère, il lit Shakspere.
Le malheur chez lui trouve un assuré secours.
Il sait que les désirs et les espoirs sont courts;
Il vit tranquille, doux, très bon, l'âme hautaine,
Et près de sa maison murmure une fontaine.
Dimanche, 17 juillet 1887.
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