Réquisitoire contre Renée Saint-Cyr
6 avril 1981
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Troublant et pulpeux ténor du barreau,
Chère Liane de Moitié,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Donc, Renée Saint-Cyr est coupable. Je pense que ce serait une assez bonne idée de lui couper la tête, j'aime mieux commencer par la fin. En effet, il arrive souvent que mes réquisitoires débouchent sur des thèmes philosophiques d'une bouleversante intensité au point qu'arrivé à la fin j'oublie le début, et ne sachant plus qui nous jugeons, j'oublie aussi de réclamer sa tête, ce qui est épouvantable. En effet, dans quel abîme de laxisme la justice d'exception sombrerait-elle si nous nous mettions à ne plus condamner à mort les innocents par pure étourderie ? Donc, Renée Saint-Cyr, couic ! Cette petite formalité accomplie, qu'il me soit permis, madame, de revenir sur une déclaration que vous avez faite à l'instruction à propos de Napoléon Ier. Je vous cite : « J'ai toujours été passionnément amoureuse de l'empereur Napoléon. Petite, je collectionnais ses photos, les serrais sur mon cœur ou les disposais sur ma table entourée de fleurs et de bougies. »
Nous sommes ici en présence, mesdames et messieurs les jurés, d'un cas de fétichisme impérial, compliqué d'une pathologie obsessionnelle du candélabre. En fait, plus d'un siècle et demi après sa mort, Napoléon Ier exerce encore sur des gens apparemment calmes et normaux, comme vous, une fascination extraordinaire, alors qu'on oublie déjà ses émules contemporains. Je pense notamment à Sa Majesté Bokassa Ier pour lequel les bonapartistes ne montrent qu'une ferveur mitigée et une admiration limitée. Pourtant Sa Majesté Bokassa Ier a tout fait pour ressembler à Napoléon : par exemple, le sacre de Bokassa, dont tout le monde se souvient des images grandioses, rappelle en tout point celui de Napoléon peint par David qui fut à la fois le chef incontesté de l'école néo-classique et le roi des lèche-culs impériaux. Même faste pompeux, même parterre international de ministres serviles et de diplomates courbés, même déguisement grotesque, casquette métallique et moquette à manches longues 100 % acrylique en cent trente de large résistant, réversible, lavage en machine. Quant aux règnes respectifs de ses deux géants de l'histoire mondiale, on remarquera essentiellement que celui de Sa Majesté Bokassa Ier a été sensiblement moins long que celui de Napoléon Ier, handicap qui a malheureusement empêché le premier de faire massacrer autant de gens que le second. D'autre part, Napoléon a inventé la Légion d'honneur qui distingue l'homme de la bête. Là-dessus, je suis d'accord. Alors que Bokassa ne laissera à la postérité que deux ou trois recettes de cuisine, dont le lieutenant-colonel Melba et le chef de cabinet sauce gribiche. (Vous prenez un bon chef de cabinet. Comptez un chef de cabinet pour vingt personnes. L'œil doit être vif, le cuissot dodu. N'oubliez pas d'ôter le fiel, le gésier, le cœur qui généralement est gonflé d'espérances ministérielles indigestes, e les premiers duvets qui poussent généralement au cul des sortants des écoles nationales d'administration, avant de devenir ces magnifiques queues de paon qu'on peut admirer chez nous un peu partout de l'Élysée au Lido.) Vous allez me dire, monsieur le président : « On ne peut pas comparer Napoléon à Bokassa parce que Bokassa c'est un nègre. »
D'abord, monsieur le président, permettez-moi d'être quasiment choqué, estomaqué par cette réflexion venant d'un homme comme vous, nul, certes, mais bon, chaleureux, généreux et tolérant. Vous m'auriez dit « On ne peut pas comparer Napoléon à Bokassa parce que Napoléon c'est un Corse », là je dis bon, d'accord et je m'écrase, car le mot « Corse » n'est pas péjoratif. Encore que... De même qu'on dit aujourd'hui un non-voyant pour ne pas choquer la susceptibilité des aveugles, ou une non-bandante pour ne pas choquer la susceptibilité des boudins, on devrait créer un néologisme pour ne pas choquer la susceptibilité des Corses. On pourrait dire les « non-bossant », par exemple. C'est une simple question de délicatesse. Ainsi, moi qui vous parle, j'ai un beau-frère nain, cul- de-jatte, manchot, sourd-muet, con et pacifiste. Pour égayer sa vie, il suffirait que nous l'appelions le non- grandissant, non-gambadant, non-embrassant, non- entendant, non-jactant, non-comprenant et non-violent. Je dis « non-violent » parce que quand je lui balance mon poing dans la gueule, c'est rare qu'il me le rende.
Tout cela, répétons-le, est affaire de délicatesse. On ne dit plus un infirme, on dit un handicapé, on ne dit plus un vieux, on dit une personne du troisième âge. Pourquoi, alors, continue-t-on à dire « un jeune » et non pas « une personne du premier âge » ? Est-ce à dire que dans l'esprit des beaux messieurs bureaucratiques qui ont inventé ces merveilleux néologismes, la vieillesse est une période de la vie infamante au point qu'on ne peut plus l'appeler par son nom ? Est-ce que nous vivons au siècle de l'hypocrisie suprême ?
Il y a de plus en plus de vieux. Ils meurent de plus en plus seuls. On les retrouve souvent recroquevillés dans leur mansarde avec le crucifix sur le ventre et le squelette du chat à côté, morts depuis des semaines et des mois, si l'on en croit les gazettes. Ou alors ils moisissent et s'éteignent dans des mouroirs provinciaux bien proprets. Dans l'indifférence générale, car les jeunes ont le problème de la vignette moto, il faut vraiment les comprendre. Tout cela serait horrible, mais on dit « personne du troisième âge » au lieu de dire vieux et le problème est résolu. Il n'y a plus de pauvres vieux, mais de joyeux troisième-âgistes. Il n'y a plus de pauvres affamés sous-développés, mais de sémillants affamés en voie de développement. Il n'y a plus d'infirmes, mais de pimpants handicapés. Il n'y a plus de mongoliens mais de brillants trichromosomiques.
Françaises, Français, réjouissons-nous, nous vivons dans un siècle qui a résolu tous les vrais problèmes humains en appelant un chat un chien.
Donc Bokassa est aussi peu corse que Napoléon fut nègre. Au fait, sommes-nous sûrs de la non-négritude de Napoléon ? Réfléchissons : qu'est-ce qui différencie un Noir d'un Blanc à part la couleur de la peau et l'intelligence qui n'est pas la même chez Denise Fabre et Léopold Sédar Senghor ? La différence, la grande différence, c'est la morphologie génitale dont les meilleurs spécialistes s'accordent à affirmer qu'elle joue nettement en faveur du Noir en ce qui concerne les mensurations.
Bien. Je n'affirme pas que Napoléon soit un nègre. Simplement je pose la question : « À votre avis, qu'est-ce qu'il chatouillait du matin au soir sous son gilet ?»
Renée Saint-Cyr : Cette comédienne a tourné dans tellement de films avant, pendant et après la dernière guerre qu'on renonce à les citer. Si, un : Les Deux Orphelines. Elle a failli jouer les deux tellement elles se ressemblaient.
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