Réquisitoire contre Gisèle Halimi
20 octobre 1982
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Loirettes, Loirets,
Solognonotes, Solognonots,
Mon président mon chien,
Consternante raclure du barreau de mes deux chaises, Maître ou ne pas mettre,
Mesdames et messieurs les jurés, Public chéri, mon amour.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.
Disons-le tout net, mesdames et messieurs les jurés, trouver la moindre circonstance atté-nuante à madame Gisèle Halimi est au-dessus de mes forces. Voilà une femme, n'est-ce pas, qui, si j'en crois ses déclarations au juge d'instruction, nous dit aimer pêle-mêle : Mitterrand, le football, Badinter, et même Franz Schubert, le sinistre apologue autrichien de la pisciculture en eau douce dont les grotesques quatuors glougloutant ont nimbé mon enfance d'une odeur de marée d'autant plus insupportable que mon professeur de piano, une gargouille socialiste hystérique, vénérait conjointement la morue fumée, dont les effluves s'accrochaient à son chignon, et Jean Jaurès, dont l'effigie bonhomme tremblotait sans cesse dans un cadre en stuc au rythme poussif du métronome de son Pleyel édenté.
Circonstances aggravantes, monsieur le président, l'accusée non contente d'être femme - mais qui le serait - se targue véhémentement de féminisme primaire et d'antiphallocratie vis-cérale, occupant le plus clair de ses loisirs bourgeois à la défense frénétique de la cause des femmes dont elle soutient ouvertement les luttes grotesques et impies, pendant que, chez elle, la vaisselle s'accumule, alors que ce sont les fondements mêmes de la civilisation qui sont menacés dès que notre chère compagne douce et aimante commence à quitter la réserve feutrée où notre juste raison l'a parquée, pour aller se vautrer dans la décadence gynécocra-tique où d'immondes viragos en talons plats se mêlent de conduire elles-mêmes la barque maudite de leur destin sans mâle, avant de sombrer corps et âme au cúur glacé de ces exis-tences sans grâce et sans révérence où nos soeurs dues s'abaissent et renient leur condition féminine jusqu'à porter elles-mêmes leur valise pleine de stérilets, je devrais dire leur baise- en-ville plein de ces saloperies anticonceptionnelles androphobiquement paroxystiques qui leur permettent de frimer la tête haute et la mamelle arrogante, au pied des lits de stupre qu'elles se choisissent toutes seules, et sur lesquels, ricanant bassement au spectacle émou-vant de leur victime en chaussettes, elles fument le cigare, la pipe et quelquefois même le buraliste !
N'en doutons pas, n'en doutons jamais : « Il y a un principe bon qui a créé l'ordre, la lumière et l'homme. Il y a un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme. » Et ce n'est pas moi qui le dis. C'est Pythagore. Et croyez-vous qu'il fut con, Pythagore ? Évidemment non, sous-doués que vous êtes. S'il avait été con, Pythagore, je vous le demande, aurait-il in-venté le thé au rhum ? Est-ce qu'il aurait découvert la maladie de Carré, dont souffre notre estimé confrère Luis Rego ici présent depuis qu'il s'est coincé l'hypoténuse dans un placard à balais ? « Homme, tu es le maître. La femme est ton esclave. C'est Dieu qui l'a voulu. Sarah appelait Abraham, "mon maître". Vos femmes sont vos servantes. Vous êtes les maîtres de vos femmes ! »
Là encore, Dieu me tripote, ce n'est pas moi qui le crie. C'est le grand saint Augustin, qui a plus fait pour l'extension des grands principes théologiques en Occident que Régis Debray pour la promotion d'Apostrophe sur Antenne 2. Régis Debray : il est en même temps contre la dictature de Pivot et pour celle de Fidel Castro. Saint Augustin qui, ne l'oubliez pas non plus, chers frères mâles qui m'écoutez, est le véritable fondateur de la vie cénobitique, à travers laquelle les moines ont prouvé au monde que seule une vie sans femme pouvait permettre à l'homme de toucher Dieu ! Car en vérité, je vous le dis, l'inutilité fondamentale de la femelle ne fut jamais démontrée de façon aussi éclatante que par les moines cénobites, et nous les secouerons tout seuls... les jougs du féminisme à poils durs qui veulent nous faire pisser Lé-nine. Lécher les plines... Plier l'échiné.
« En tant qu'individu, la femme est un être chétif et définitivement défectueux. » Ce n'est pas moi qui l'affirme. C'est saint Thomas d'Aquin, l'inventeur de l'eau oxygénée à trente volumes, la meilleure : un volume de Ricard, sept volumes d'eau oxygénée, c'est l'extase avec des bulles !
« La femme (écoutez, bécasses solognonotes et pigeons solognonots) est le produit d'un os surnuméraire. » A-t-on jamais rien entendu de plus beau, depuis le discours mongoloïde de Pierre Mauroy sur la déstagnation de l'expansion par la désexpansion de la stagnation, que cette sentence magique du grand Bossuet : « La femme est le produit d'un os surnuméraire » ! Ah non, mesdames et messieurs les jurés, on ne peut pas dire qu'il disait des conneries, l'aigle meldois, quand la moutarde de Meaux lui montait au nez. « La femme est le produit d'un os surnuméraire. » Quelle stupéfiante révélation ! Quelle étrange nouvelle ! Orémus, nom de Dieu ! Imaginons un instant, mes frères, l'immense Bossuet montant en chaire, sous les regards moites des courtisanes, la panse rebondie par les excès de gibiers en sauce dont sa soumission au monarque lui garantissait à vie la surabondance, regardons-le, cet irréfutable mastodonte de Dieu, battre de ses ailes mauves au-dessus du parterre des nantis empoudrés, et écoutons-le tonner comme un buffle en colère les imprécations divines de sa grandiose colère, écoutons-le maudire la mort d'Henriette d'Angleterre :
« Madame se meurt ! Madame est morte ! Madame avait un os en trop ! »
Que la cour me pardonne mon emportement, monsieur le président. Dès l'adolescence, à l'âge des premiers émois du coeur et des premiers boutons sur la tronche, j'ai été marqué par cette révélation brutale du grand orateur sacré que fut Bossuet. Auparavant, qu'on me par-donne, je pensais naïvement que c'étaient les garçons qui avaient un os en trop. Hélas ! hélas ! Cruel désenchantement que cette heure maudite où la première femme que l'on tient dans ses bras vous démontre, preuve en main, que les macaronis n'ont pas d'arêtes !
«Quand le piano tombe, le déménageur s'épouvante ! » disait Chaval.
Certes, elle est cruelle, l'heure où l'adolescente ou l'adolescent voit son corps lui échapper et se métamorphoser en un corps étranger, velu, acnéen, plein de fesses et de seins et de poils partout, alors que s'estompe l'enfance et que déjà la mort... N'est-elle point superbe, à cet égard, l'histoire de Catherine, la petite pensionnaire du couvent des Oiseaux ? Un jour que Catherine, qui venait d'avoir neuf ans, prenait une douche dans la salle de bains collective du pensionnat, Christiane, son aînée de quatre ans, se savonnait vigoureusement dans la cabine voisine. « Je te trouve très belle », dit la petite, qui contemplait naïvement les rotondités naissantes de sa camarade. « Vraiment tu es très très belle. Mais... là, c'est quoi ? » ajouta-t-elle, avec une curiosité sans malice, en montrant le jeune duvet pubien de la grande.
« Ça ? dit Christiane en riant. C'est rien... C'est normal... C'est des poils ! » Et avec un rien de fierté dans le ton : « C'est parce que je suis une grande.
- Ah bon, dit la petite, c'est bien. Mais, dis-moi, ça te zêne pas pour baiser ? »
Donc Gisèle Halimi est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi.
Gisèle Halimi : Si cette avocate avait combattu pour le droit à l'avortement des Algériens et l'indépendance des Françaises, on n'en serait pas où on en est aujourd'hui.
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