Au Val-Bénit partez, fils de ma muse !
À peine éclos, c’est là qu’il faut aller ;
Partez sans moi, vous direz pour excuse :
Il n’a pas, lui, d’ailes pour s’envoler.
Lisant Rousseau qu’aiment tous les poëtes,
Là, j’ai coulé peu de jours bien remplis ;
Mais sans remords j’ai quitté mes Charmettes ;
L’air en est pur, ma pervenche est un lis.
Oh ! quel bonheur de revêtir la brume
Sur le coteau comme un linceul flottant,
Et de chercher à l’horizon qui fume,
Là-bas, là-bas, le toit qu’on aime tant ;
Et de poursuivre aux champs, aux bois, sans terme,
Un papillon, un rêve, un feu follet,
Sûr de trouver, de retour à la ferme,
Un doux accueil, du pain blanc et du lait !
Avec le pâtre au ravin j’allais boire.
M’inspirant là, pauvre et gai, j’y vécus ;
Fontaine aux vers, quel conte dérisoire
T’a fait nommer la fontaine aux écus ?
Je n’eus jamais ce qu’a la boulangère ;
Mais quand l’amour me caressait alors,
S’il étreignait une bourse légère,
Il sentait battre un coeur plein de trésors.
Trésors perdus ! la semence divine
Que j’étalais, vaniteux possesseur,
S’est envolée, et rien n’a pris racines,
Et cependant je lui disais : Ma soeur,
Un beau laurier sur votre front d’ivoire
Remplacera la rose du buisson.
Je le disais et mon rêve de gloire
A, comme tout, fini par des chansons.
Au Val-Bénit partez, fils de ma muse !
À peine éclos, c’est là qu’il faut aller ;
Partez sans moi, vous direz pour excuse :
Il n’a pas, lui, d’ailes pour s’envoler.
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