Nymphes de mon pays, déités bocagères,
Donnez un libre essor à vos danses légères,
Et, dédaignant les fleurs du vallon maternel,
Couronnez vos cheveux d’un laurier solennel.
Lebrun vient embellir nos bords par sa présence ;
Dans les foyers témoins des jeux de son enfance,
Dans les bois confidents de ses premiers plaisirs,
Lebrun vient parmi nous chercher des souvenirs.
Lebrun ! toujours ce nom fut aimé de la Gloire ;
La Peinture l’envie aux Filles de Mémoire,
Et dans leur temple un jour nous le verrons encor
Pour la seconde fois écrit en lettre d’or.
Oui, sublime Écouchard, lorsque ta tête illustre
Se courbe sous le poids de ton quinzième lustre,
C’est en vain que le temps refroidit ton ardeur ;
Sans trembler pour les arts dont tu fais la splendeur,
Tu peux, avec Rousseau, t’asseoir dans l’Élysée :
Son luth nous reste encore, et la France abusée,
Croyant te reconnaître à ses nobles refrains,
Ne s’apercevra pas qu’il a changé de mains.
Il se ranime encore à la voix des trompettes ;
Et le siècle des héros est celui des poètes :
Qu’un grand homme paraisse, et pour orner son front
Autour de lui bientôt les palmes fleuriront.
Victoire ! Liberté ! ces mots pleins d’harmonie,
Dès l’enfance, ô Lebrun, bercèrent ton génie.
Prenant soudain l’essor comme l’aigle français,
Il marqua tous ses pas par de nouveaux succès,
Et suivit tour à tour dans sa course rapide
Les traces de Pindare et celles d’Euripide.
Si tu peins les malheurs et les crimes des rois,
Quel spectacle terrible et touchant à la fois
Enchante les esprits de la foule attentive !
Quand, loin de son cachot, une reine captive
Vient un moment sourire à la clarté du jour,
Lorsque pour des accents de douleur et d’amour
Elle fait ses adieux, et, mourant jeune encore,
Parmi ses meurtriers voit l’ingrat qu’elle adore,
On voudrait applaudir, mais le bruit des bravos
Est sans cesse étouffé par celui des sanglots.
Si des temps plus voisins rappellent ta pensée,
À flatter le malheur si ta muse empressée
Console dans l’exil Napoléon mourant,
La Gloire qui le pleure, à ta voix accourant,
Partage sur vos fronts sa couronne immortelle.
Quand on la chante ainsi, n’est-on pas digne d’elle ?
Prêtre des demi-Dieux, sur leur berceau sacré
Tu t’enivras de l’air qu’ils avaient respiré.
Dans la Grèce encor belle, au sein de l’esclavage,
Quand tu poursuis le cours d’un long pélerinage,
Chacun de ses débris réclame ton encens.
Le pâtre montagnard, au bruit de tes accents,
Frappé d’un saint respect, s’incline vers la terre
Et croit se prosterner devant l’ombre d’Homère.
Ne laisse pas languir ton luth mélodieux.
Entouré d’une foule et d’un bruit odieu,
À Paris vainement tu poursuis tes pensées,
Qui d’objets en objets s’égarent dispersées.
Ah ! reviens parmi nous. Aux lares paternels
Reviens des doctes soeurs confier les autels.
L’automne fugitive à ton aspect s’arrête
Et les derniers beaux jours vont briller sur ta tête.
Lebrun, prends tes pinceaux, prépare tes couleurs.
C’est ici qu’au milieu des gazons et des fleurs
La muse bucolique avec plaisir se joue.
Oh ! qu’il plaît à mon coeur, le Cygne de Mantoue,
Lorsque de son pays les souvenirs touchants
D’une douce tristesse embellissent ses chants !
Regarde autour de toi ces temples, ces tourelles,
Cet écho qui répond aux voix des pastourelles,
Dans la même campagne où les clairons guerriers
Faisaient bondir les preux sur leurs blancs destriers,
Et ces débris couverts d’une mousse sauvage,
Et ces saules pleureurs dont le pâle feuillage
Se livre en soupirant aux caresses des eaux,
Tout semble répéter : Lebrun, prends tes pinceaux.
Des guerriers qu’au cercueil Provins a vus descendre
Viens fouler parmi nous la poétique cendre,
Viens : l’inspiration, amamte des cyprès,
À l’âme du poète y parle de plus près,
Et tu croiras encore, au milieu des décombres,
De nos gais troubadours voir fôlatrer les ombres.
Dans ces lieux enchanteurs moi-même que de fois
J’ai troublé de tes vers le silence des bois !
C’est là qu’en bégayant l’Ode à la Grande Armée,
J’ai senti, jeune encor, dans mon âme enflammée
Naître la passion de la gloire et des arts.
Si le Dieu qui t’inspire avait, de ses regards,
Laissé tomber sur moi quelque faible étincelle,
Pour me frayer la route où mon penchant m’appelle ;
Si la fortune au moins…, mais elle a, pour toujours,
Dans un état obscur enseveli mes jours.
Ainsi, brûlant en vain de franchir la barrière,
Je regarde ton char voler dans la carrière,
Et je sens malgré moi le bruit de tes succès
Réveiller mes désirs…, hélas ! et mes regrets.
Tel l’oiseau prisonnier, qui rêve dans sa cage
Aux plaisirs, aux amours, aux concerts du bocage,
À travers ses barreaux voit d’un oeil envieux
Philomèle en chantant s’élever dans les cieux.
S’il ne m’est pas permis de toucher à ta lyre,
Je puis du moins te voir, je puis du moins te lire.
Inconnu dans les flots de tes admirateurs,
Je puis à ta couronne ajouter quelques fleurs.
Qu’au passage des grands le vulgaire s’empresse,
Et qu’il aille en triomphe étaler sa bassesse ;
Mon encens roturier leur serait importun :
Je le garde au Génie et je l’offre à Lebrun.
1829
Cette ode remonte à 1829 : elle était restée en manuscrit. Nous en devons la première publication à M. F. Bourquelot, l’un des biographes de Moreau. (Feuille de Provins, 10 juin 1854.) (Note de Fourtier) [R. Vallery-Radot]
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