I
Sous le regard de Dieu, ce témoin taciturne,
Dix ans - déjà dix ans ! - ont renversé leur urne
Dans ce tonneau sans fond qu’on nomme Éternité,
Depuis que, délaissés dans leur tombe anonyme,
A tous les carrefours, sous le pavé sublime,
Gisent les saints martyrs morts pour la Liberté I
Une terre jetée à la hâte les couvre.
Ceux-ci, gardiens muets, sont restés près du Louvre ;
Au Champ-de-Mars lointain ceux-là sont en exil ;
Le reste dort couché dans la fange des halles,
Et la foule enrouée, aux clameurs triviales,
Étourdit leur sommeil avec son vain babil.
Quand minuit fait tinter ses notes solennelles,
Ils se disent, cherchant les cendres fraternelles,
Et tendant leurs bras d’ombre à quelque cher lambeau :
Puisque nous n’avions tous qu’une même pensée,
Foule vers un seul but par un seul voeu poussée,
Pourquoi donc séparer nos corps dans le tombeau ?
Ah ! comme il serait doux pour notre âme ravie
D’être unis dans la mort ainsi que dans la. vie,
De conserver nos rangs comme au jour du combat
Et de sentir encore, au contact électrique
D’une poussière aimée ou d’un crâne héroïque,
Notre coeur desséché qui revit et qui bat !
Le soleil de Juillet, le soleil tricolore,
Dans le ciel triomphal va rayonner encore :
Réunissez nos os pour ce jour solennel !
Qu’on nous donne un tombeau digne de Babylone,
Tout bronze et tout granit, quelque haute colonne
Avec nos noms gravés et le chiffre immortel !
Car il ne fut jamais de plus noble victoire,
Et toute gloire est terne auprès de notre gloire !
Phalange au coeur stoïque et désintéressé ;
Contre le fait brutal, contre la force injuste,
Nous soutenions les droits de la pensée auguste,
Soldats de l’avenir combattant le passé !
II
Soyez satisfaits, morts illustres,
Votre jour sera bien fêté ;
Vous pouviez attendre deux lustres,
Ayant à vous l’éternité !
Mais la France a bonne mémoire ;
Sa main fidèle à toute gloire
Garde du marbre et de l’airain ;
Et les corps criblés de mitrailles
Ont de plus riches funérailles
Que n’en aurait un souverain !
La France est grande et magnanime ;
Elle a sur ses autels pieux,
Impartialité sublime,
Une place pour tous ses dieux !
Et, sans avoir peur d’aucune ombre,
D’aucun nom rayonnant ou sombre,
Elle accorde à tous un linceul.
Pour vous un sépulcre se fonde,
Et l’on va prendre au bout du monde
L’Empereur, lassé d’être seul !
A l’endroit où fut la Bastille,
Sol sacré bien doux pour vos os,
Vous irez dormir en famille,
Nobles enfants des vieux héros !
Aux yeux de la foule en extase
Qui pleure et qui prie à la base,
S’élève votre Panthéon !
Une colonne fière et haute,
Airain digne d’avoir pour hôte
Trajan ou bien Napoléon.
Sur le socle accroupi grommelle
Le grand lion zodiacal ;
A son rugissement se mêle
Le chant du coq national ;
Et, couronnement magnifique,
Une Liberté symbolique,
Toujours prête à prendre l’essor,
Dans la lumière qui la noie,
Comme un oiseau divin, déploie
Son immense envergure d’or !
Dans des fêtes patriotiques,
A vos carrefours glorieux
L’on ira chercher vos reliques,
Qu’attend le caveau radieux ;
Dans leurs chants sacrés, les poètes,
Par qui toutes gloires sont faites,
Rendront votre nom éternel !
Pour qui meurt en donnant l’exemple,
Le sépulcre devient un temple
Et le cercueil est un autel !
III
Sur cette tombe, autel de la nouvelle France,
Poète, je me plais à voir en espérance
Déposer un berceau, de tant d’éclat surpris :
Le berceau de l’enfant qui n’est encor qu’un ange,
Sur le sein maternel jouant avec la frange
De l’épée en or fin que lui donna Paris !
Au poète, au tribun, cette union doit plaire,
Du berceau dynastique au tombeau populaire !
Car le peuple à présent fait et sacre les rois !
La Liberté, voilà leur plus sûre patronne ;
Et la plus ferme base à mettre sous un trône,
Ce sont les corps tombés pour défendre les lois !
De ce sang précieux, plus pur que le vieux chrême,
Mélangez une goutte aux flots saints du baptême,
Afin d’oindre à la fois le prince et le chrétien.
Sous l’invocation des tombes triomphales,
Allez, au jour fixé, bénir les eaux lustrales
Qui font un catholique et font un citoyen !
Car l’on est plus sévère, en ce siècle où nous sommes,
Envers les pauvres rois qu’envers les autres hommes !
On leur demande tout, on leur accorde peu ;
Et, pour qu’ils trouvent grâce au bout de leur journée,
Il leur faut recevoir, sur leur tête inclinée,
Le baptême du peuple avec celui de Dieu !
Celui que l’on nomma depuis le Fils de l’Homme,
Tout d’abord fut sacré du nom de roi de Rome,
Comme un jeune empereur, comme un fils de César !
Ses langes étaient faits de pourpre impériale,
L’aigle étendait sur lui son aile triomphale,
Des béliers aux pieds d’or le traînaient dans un char !
Certes, s’il fut jamais existence inouïe,
Gloire à faire baisser la paupière éblouie,
Vertigineux éclat, ciel étoilé de feux,
Immense entassement, Babel invraisemblable,
C’est ce règne éclipsé qui nous semble une fable,
Et dont tous les acteurs sont déjà demi-dieux !
Cet enfant, pour hochet, eut la boule du monde,
Et le Titan son père, en sa tête profonde,
Lui rêvait un empire, un règne surhumain.
Hélas ! tout a passé comme l’ombre d’un rêve,
Comme le flot tari qui déserte la grève,
Et ce jour radieux n’eut pas de lendemain !
Un autre, pauvre enfant, sur la terre étrangère,
Privé des doux baisers de la France sa mère,
S’en va, puni d’erreurs dont il est innocent.
Sur la tige des lis, fleur nouvelle, âme blanche,
Il devait rajeunir et relever la branche,
Et tout semblait sourire à son destin naissant.
Mais, négligence folle, aveuglement suprême,
L’on avait oublié d’inviter au baptême
Une magicienne au merveilleux pouvoir,
Dont les plaintes en vain ne sont pas étouffées,
Et qui dote les rois de tous les dons des fées,
La sage Liberté, fille du saint Devoir !
IV
Enfant, une telle marraine
Protège un roi de tout péril,
Et sa baguette souveraine
Conjure la chute et l’exil.
Comme au temple un nid de colombe,
Le berceau posé sur la tombe
Attire le divin rayon ;
Le monde attend, la France espère,
Et déjà l’avenir prospère
Vit en germe dans le sillon.
De cette France glorieuse
Sans doute un jour tu seras roi !
De notre oeuvre laborieuse
Les fruits tardifs seront pour toi !
Sous la terre encore enfermée,
La moisson, par nos mains semée,
Te donnera des épis mûrs ;
L’arbre, pour nous privé d’ombrage,
Te couvrira d’un vert feuillage ;
Nos pierres te feront des murs !
Tu finiras les édifices
Dont nous jetons les fondements,
Au prix de tant de sacrifices,
Sur des débris encor fumants !
Surtout laisse toujours l’idée,
A ton oreille non gardée,
Chuchoter le verbe nouveau ;
C’est par le verbe qu’on gouverne,
Et le diadème moderne
N’est que le cercle d’un cerveau !
Que le sculpteur et le poète
Avec le marbre, avec le vers,
D’une forme noble et parfaite
Parent le nouvel univers !
Que palais, tours, dômes, églises,
Sur le ciel des villes surprises,
Tracent, en lettres de granit,
Les symboles et les pensées
Des générations poussées
Sur le vieux monde rajeuni.
Du haut de ta gloire étoilée,
Songe à ceux qui souffrent en bas ;
Secours la misère voilée,
Au génie obscur tends les bras !
Sois le monarque et le pontife,
Et rends l’antique hiéroglyphe
Pour tous intelligible et clair ;
Que sur ta tête la tiare
Brille dans l’ombre, comme un phare,
Au bord du peuple - cette mer !
Mais ce beau jour n’est qu’une aurore,
Un rêve où l’âme se complaît ;
L’homme n’est qu’un enfant encore,
Bouche rose, blanche de lait ;
Son sceptre est un hochet d’ivoire,
Sa pourpre, une robe de moire ;
Il dort, et sourit sans effroi ;
Ne pouvant pas encor comprendre,
Oh, pur bonheur de l’âge tendre !
Qu’il est marqué pour être roi.
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