Ange de poésie, ô vierge blanche et blonde,
Tu me veux donc quitter et courir par le monde ?
Toi qui, voyant passer du seuil de la maison
Les nuages du soir sur le rouge horizon,
Contente d’admirer leurs beaux reflets de cuivre,
Ne t’es jamais surprise à les désirer suivre ;
Toi, même au ciel d’été, par le jour le plus bleu,
Frileuse Cendrillon, tapie au coin du feu,
Quel grand désir te prend, ô ma folle hirondelle !
D’abandonner le nid et de déployer l’aile ?
Ah ! restons tous les deux près du foyer assis,
Restons ; je te ferai, petite, des récits,
Des contes merveilleux, à tenir ton oreille
Ouverte avec ton oeil tout le temps de la veille.
Le vent râle et se plaint comme un agonisant ;
Le dogue réveillé hurle au bruit du passant ;
Il fait froid : c’est l’hiver ; la grêle à grand bruit fouette
Les carreaux palpitants, la rauque girouette,
Comme un hibou criaille au bord du toit pointu.
Où veux-tu donc aller ?
« — Ô mon maître, sais-tu
La chanson que Mignon chante à Wilhelm dans Gœthe :
‹ Ne la connais-tu pas, la terre du poète,
La terre du soleil où le citron mûrit,
Où l’orange aux tons d’or dans les feuilles sourit ?
C’est là, maître, c’est là qu’il faut mourir et vivre,
C’est là qu’il faut aller, c’est là qu’il faut me suivre. ›
« — Restons, enfant, restons : ce beau ciel toujours bleu,
Cette terre sans ombre et ce soleil de feu
Brûleraient ta peau blanche et ta chair diaphane.
La pâle violette au vent d’été se fane ;
Il lui faut la rosée et le gazon épais,
L’ombre de quelque saule, au bord d’un ruisseau frais ;
C’est une fleur du Nord, et telle est sa nature.
Fille du Nord comme elle, ô frêle créature !
Que ferais-tu là-bas sur le sol étranger ?
Ah ! la patrie est belle et l’on perd à changer.
Crois-moi, garde ton rêve.
« — Italie ! Italie !
Si riche et si dorée ; oh ! comme ils t’ont salie !
Les pieds des nations ont battu tes chemins,
Leur contact a limé tes vieux angles romains ;
Les faux dilettanti s’érigeant en artistes,
Les riches ennuyés et les rimeurs touristes,
Les petits lords Byrons fondent de toutes parts
Sur ton cadavre à terre, ô mère de Césars !
Ils s’en vont mesurant la colonne et l’arcade ;
L’un se pâme au rocher, et l’autre à la cascade :
Ce sont, à chaque pas, des admirations,
Des yeux levés en l’air et des contorsions ;
Au moindre bloc informe et dévoré de mousse,
Au moindre pan de mur où le lentisque pousse,
On pleure d’aise, on tombe en des ravissements
À faire de pitié rire les monuments.
L’un avec son lorgnon, collant le nez aux fresques,
Tâche de trouver beaux tes damnés gigantesques,
Ô pauvre Michel-Ange, et cherche en son cahier
Pour savoir si c’est là qu’il doit s’extasier ;
L’autre, plus amateur de ruines antiques,
Ne rêve que frontons, corniches et portiques,
Baise chaque pavé de la Via Lata,
Ne croit qu’en Jupiter et jure par Vesta ;
De mots italiens fardant leurs rimes blêmes,
Ceux-ci vont arrangeant leur voyage en poèmes,
Et sur de grands tableaux font de petits sonnets.
Artistes et dandys, roturiers, baronnets,
Chacun te tire aux dents, belle Italie antique,
Afin de remporter un pan de ta tunique !
« — Restons, car au retour on court risque souvent
De ne retrouver plus son vieux père vivant,
Et votre chien vous mord, ne sachant plus connaître
Dans l’étranger bruni celui qui fut son maître :
Les cœurs qui vous étaient ouverts se sont fermés,
D’autres en ont la clef, et dans vos mieux aimés
Il ne reste de vous qu’un vain nom qui s’efface.
Lorsque vous revenez vous n’avez plus de place :
Le monde où vous viviez s’est arrangé sans vous,
Et l’on a divisé votre part entre tous.
Vous êtes comme un mort qu’on croit au cimetière
Et qui, rompant un soir le linceul et la bière,
Retourne à sa maison, croyant trouver encor
Sa femme tout en pleurs et son coffre plein d’or ;
Mais sa femme a déjà comblé la place vide,
Et son or est aux mains d’un héritier avide ;
Ses amis sont changés, en sorte que le mort,
Voyant qu’il a mal fait et qu’il est dans son tort,
Ne demandera plus qu’à rentrer sous la terre
Pour dormir sans réveil dans son lit solitaire.
C’est le monde. Le cœur de l’homme est plein d’oubli :
C’est une eau qui remue et ne garde aucun pli.
L’herbe pousse moins vite aux pierres de la tombe
Qu’un autre amour dans l’âme, et la larme qui tombe
N’est pas séchée encor, que la bouche sourit,
Et qu’aux pages du cœur un autre nom s’écrit.
« Restons pour être aimés et pour qu’on se souvienne
Que nous sommes au monde ; il n’est amour qui tienne
Contre une longue absence : oh ! malheur aux absents !
Les absents sont des morts et, comme eux, impuissants.
Dès qu’aux yeux bien aimés votre vue est ravie,
Rien ne reste de vous qui prouve votre vie ;
Dès que l’on n’entend plus le son de votre voix,
Que l’on ne peut sentir le toucher de vos doigts,
Vous êtes mort ; vos traits se troublent et s’effacent
Au fond de la mémoire, et d’autres les remplacent.
Pour qu’on lui soit fidèle il faut que le ramier
Ne quitte pas le nid et vive au colombier ;
Restons au colombier. Après tout, notre France
Vaut bien ton Italie, et, comme dans Florence,
Rome, Naple ou Venise, on peut trouver ici
De beaux palais à voir et des tableaux aussi.
Nous avons des donjons, de vieilles cathédrales
Aussi haut que Saint-Pierre élevant leurs spirales ;
Notre-Dame tendant ses deux grands bras en croix,
Saint-Severin, dardant sa flèche entre les toits,
Et la Sainte-Chapelle aux minarets mauresques,
Et Saint-Jacques hurlant sous ses monstres grotesques ;
Nous avons de grands bois et des oiseaux chanteurs,
Des fleurs embaumant l’air de divines senteurs,
Des ruisseaux babillards dans de belles prairies
Où l’on peut suivre en paix ses chères rêveries ;
Nous avons, nous aussi, des fruits blonds comme miel,
Des archipels d’argent aux flots de notre ciel,
Et, ce qui ne se trouve en aucun lieu du monde,
Ce qui vaut mieux que tout, ô belle vagabonde,
Le foyer domestique, ineffable en douceurs,
Avec la mère au coin et les petites sœurs,
Et le chat familier qui se joue et se roule,
Et, pour hâter le temps, quand goutte à goutte il coule,
Quelques anciens amis causant de vers et d’art,
Qui viennent de bonne heure et ne s’en vont que tard. »
1833
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