En mon printems, à l'âge en fête
Où l'on fuit gaîment tout salon,
J'avais sur mon front de poëte
Une tignasse d'Absalon.
Fort riche, ayant de l'or en barre,
Embrassant la Rime à tout coup,
On m'eût pris pour un chef barbare
Ou pour une tête de loup.
A présent c'est fini de rire,
Et si j'ai fait un peu de bruit,
Si je trouve aussi de quoi frire,
Me voilà pelé, comme un fruit.
Heureux au gré de mon envie,
Moi qui semblais un damoiseau,
Je fus, par les soins de la Vie,
Plumé, comme on plume un oiseau.
Moi qui savais chanter Achille
Passant dans un éclair soudain,
Me voilà chauve comme Eschyle
Et comme le fut Siraudin.
Et ma tête, objet illusoire,
Se faisant voir à découvert,
Est comme ces billes d'ivoire
Qu'on fait rouler sur un drap vert.
Sa boîte, à présent nette et lisse,
Est comme une perle d'Ophir,
Et peut s'offrir avec délice
A la caresse du zéphyr.
Ou, s'il fait trop froid, si la bise
Court par les chemins où je vais
Et m'écorche, comme Cambyse
Écorchait les juges mauvais,
Alors, tout noir, comme une mouche,
Me parant et me régalant,
Un gai béret de Scaramouche
Me coiffe de son pli galant.
Il me capitonne, il me sauve,
Il déroute le vent amer,
Et si je l'ôte, je suis chauve
Comme une roche dans la mer.
Oui, moi que sait bercer la vague
Et qui lui parle quand je veux,
Je n'ai qu'une parenté vague
Avec Hélène aux beaux cheveux.
Je n'ai pas épuisé ma veine
Et je reste droit comme un pin,
Mais je laisse enfin cette vaine
Luxuriance à Richepin.
Toujours le poëte, dont l'âme
Est un gouffre plein de ciel bleu,
Se souvient d'avoir bu la flamme
Et baisé le charbon de feu.
Réchauffe-moi, sainte brûlure!
Amis, tout est bien comme il est,
Car avec ou sans chevelure,
Un bon chanteur n'est jamais laid.
Et celle qui donne la manne
Avec son baiser meurtrier,
La Muse a voulu sur mon crâne
Faire la place du Laurier!
11 décembre 1888.
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