07 Satire VII Muse, changeons de style, et quittons la satire
Nicolas Boileau
paroles Nicolas Boileau 07  Satire VII  Muse, changeons de style, et quittons la satire

Nicolas Boileau - 07 Satire VII Muse, changeons de style, et quittons la satire Lyrics

Muse, changeons de style, et quittons la satire :
C’est un méchant métier que celui de médire ;
A l’auteur qui l’embrasse il est toujours fatal :
Le mal qu’on dit d’autrui ne produit que du mal.
Maint poète, aveuglé d’une telle manie,
En courant à l’honneur trouve l’ignominie ;
Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur,
A coûté bien souvent des larmes à l’auteur.
Un éloge ennuyeux, un froid panégyrique,
Peut pourrir à son aise au fond d’une boutique,
Ne craint point du public les jugements divers,
Et n’a pour ennemis que la poudre et les vers :
Mais un auteur malin, qui rit et qui fait rire,
Qu’on blâme en le lisant, et pourtant qu’on veut lire,
Dans ses plaisants accès qui se croit tout permis,
De ses propres rieurs se fait des ennemis.
Un discours trop sincère aisément nous outrage :
Chacun dans ce miroir pense voir son visage :
Et tel, en vous lisant admire chaque trait,
Qui dans le fond de l’âme et vous craint et vous hait.
Muse, c’est donc en vain que la main vous démange.
S’il faut rimer ici, rimons quelque louange ;
Et cherchons un héros parmi cet univers,
Digne de notre encens et digne de nos vers.
Mais à ce grand effort en vain je vous anime :
Je ne puis pour louer rencontrer une rime ;
Dès que j’y veux rêver, ma veine est aux abois.
J’ai beau frotter mon front, j’ai beau mordre mes doigts,
Je ne puis arracher du creux de ma cervelle
Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle.
Je pense être à la gêne, et, pour un tel dessein,
La plume et le papier résistent à ma main.
Mais, quand il faut railler, j’ai ce que je souhaite.
Alors, certes, alors je me connais poète :
Phébus, dès que je parle, est prêt à m’exaucer ;
Mes mots viennent sans peine, et courent se placer.
Faut-il peindre un fripon fameux dans cette ville ?
Ma main, sans que j’y rêve, écrira Raumaville.
Faut-il d’un sot parfait montrer l’original ?
Ma plume au bout du vers d’abord trouve Sofal :
Je sens que mon esprit travaille de génie.
Faut-il d’un froid rimeur dépeindre la manie ?
Mes vers comme un torrent, coulent sur le papier :
Je rencontre à la fois Perrin et Pelletier,
Bonnecorse, Pradon, Colletet, Titreville ;
Et, pour un que je veux, j’en trouve plus de mille.
Aussitôt je triomphe ; et ma muse en secret
S’estime et s’applaudit du beau coup qu’elle a fait.
C’est en vain qu’au milieu de ma fureur extrême
Je me fais quelquefois des leçons à moi-même ;
En vain je veux au moins faire grâce à quelqu’un :
Ma plume aurait regret d’en épargner aucun :
Et sitôt qu’une fois la verve me domine,
Tout ce qui s’offre à moi passe par l’étamine.
Le mérite pourtant m’est toujours précieux :
Mais tout fat me déplaît, et me blesse les yeux ;
Je le poursuis partout, comme un chien fait sa proie,
Et ne le sens jamais qu’aussitôt je n’aboie.
Enfin, sans perdre temps en de si vains propos,
Je sais coudre une rime au bout de quelques mots.
Souvent j’habille en vers une maligne prose :
C’est par là que je vaux, si je vaux quelque chose.
Ainsi, soit que bientôt, par une dure loi,
La mort d’un vol affreux vienne fondre sur moi,
Soit que le ciel me garde un cours long et tranquille,
A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville,
Dût ma muse par là choquer tout l’univers,
Riche, gueux, triste ou gai, je veux faire des vers.
Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie !
Modère ces bouillons de ta mélancolie ;
Et garde qu’un de ceux que tu penses blâmer
N’éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer.
Hé quoi ! lorsqu’autrefois Horace, après Lucile,
Exhalait en bons mots les vapeurs de sa bile,
Et, vengeant la vertu par des traits éclatants,
Allait ôter le masque aux vices de son temps ;
Ou bien quand Juvénal, de sa mordante plume
Faisant couler des flots de fiel et d’amertume,
Gourmandait en courroux tout le peuple latin,
L’un ou l’autre, fit-il une tragique fin ?
Et que craindre après tout, d’une fureur si vaine ?
Personne ne connaît ni mon nom ni ma veine :
On ne voit point mes vers, à l’envi de Montreuil,
Grossir impunément les feuillets d’un recueil.
A peine quelquefois je me force à les lire,
Pour plaire à quelque ami que charme la satire,
Qui me flatte peut-être, et, d’un air imposteur,
Rit tout haut de l’ouvrage, et tout bas de l’auteur.
Enfin c’est mon plaisir ; je veux me satisfaire.
Je ne puis bien parler, et ne saurais me taire ;
Et, dès qu’un mot plaisant vient luire à mon esprit
Je n’ai point de repos qu’il ne soit en écrit :
Je ne résiste point au torrent qui m’entraîne.
Mais c’est assez parlé ; prenons un peu d’haleine.
Ma main, pour cette fois, commence à se lasser.
Finissons. Mais demain, Muse, à recommencer.


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