Les goûts bizarres des femmes enceintes
J’y croyais pas plus qu’à la Vierge
J’me suis fait engrosser sans crainte
De rêver d’sushis au p’tit « déj »
Moi, je les trouvais pas crédibles
Les grignoteuses de cornichons
Les bedonnantes susceptibles
Hypersensibles jusqu’aux nichons
J’avais disons de sérieux doutes
Quant aux adeptes de marinades
Ces vaches à lait qui broutent et broutent
Des bananes frites à la moutarde
Ces supposées grandes émotives
Qui vont faire croire à leur mari
Qu’si elles ont pas leur pot d’olives
Elles vont pas dormir de la nuit
J’les trouvais pas très bonnes actrices
Ces égoïstes ballonnées
Ces pauvres manipulatrices
Qui croient qu’le monde est à leurs pieds
Celles qui pensent que d’la cervelle
Pour que bébé en soit pourvu
Il est normal et maternel
D’en bouffer deux ou trois toutes crues
J’suis tombée enceinte en octobre
Et soudain, je fus incapable
De supporter la moindre robe
Sur ma belle poitrine intouchable
Je fus bien vite forcée d’admettre
Que bon sang, j’avais faim tout l’temps
Je multipliais les recettes
Qui f’raient jeûner les plus gourmands
Malgré mes efforts pour me battre
Contre ma désolante nature
Un soir d’hiver, d’une voix ingrate
J’ai dit : « Chéri, trouve-moi des mûres »
Ce sont ces p’tits fruits introuvables
En plein janvier, dans notre village
Qui m’ont rendue méconnaissable
Insupportable, une vraie sauvage
J’ai dit : « Chéri, si tu respectes
Ce p’tit enfant que je te porte
Tu vas nous trouver au Québec
Une épicerie qui en importe »
Et sous mes yeux d’matrone obèse
Le pauvre est parti en voiture
Il est r’venu avec des fraises
Et j’ai gueulé : « Trouve-moi des mûres! »
Y existe sûrement comme une mafia
Un regroupement de grosses bedaines
Avec à sa tête une marraine
Qui a le contrôle de ces fruits-là
Faut vraiment qu’y m’aime comme un fou
Y m’en a déniché une caisse
J’sais pas comment, je sais pas où
Ça a dû coûter la peau des fesses
Tant de bonnes intentions me plaisent
C’est pas qu’j’ai pas aimé son geste
Mais y est resté pris avec sa caisse
Parce que depuis, j’ai une envie d’fraises
Il m’vient comme une envie d’passer à table
Je l’sais qu’c’est une bonne heure pour du gruau
Mais c’que j’vais m’faire descendre dans l’tuyau, plutôt
C’est un gros morceau d’tarte fraises et rhubarbe
Oui, un gros morceau d’tarte fraises et rhubarbe
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