L’Épreuve
Léon Dierx
paroles Léon Dierx L’Épreuve

Léon Dierx - L’Épreuve Lyrics

L’Invisible, celui qui règne dans les cieux,
Assembla ses enfants pour lui chanter sa gloire ;
Et Satan était là, qui se dressait près d’eux.

Et le Très-haut lui dit : « D’où viens-tu ? — mon histoire
Est vieille, répondit l’adversaire : j’ai fait
Tout le tour de ton oeuvre avec mon aile noire.

« J’ai délié l’esprit que ta règle étouffait ;
J’ai pourri le bon grain, j’ai récolté l’ivraie ;
Tes anges ont raison de chanter, en effet !

« Leur louange est mensonge et ma parole est vraie :
L’esprit de l’homme est plein d’aversion pour toi.
Nu ne t’aime, hors ceux que ta rancune effraie.

— « Tu n’as considéré que l’incomplète foi,
Dit l’éternel, de ceux que l’épreuve terrasse.
Les coeurs simples et purs sont heureux sous ma loi.

— « Sur un fumier, couvert d’une lèpre vorace,
Un être, dit Satan, sans amis, sans espoir,
Survivait, en opprobre à tous ceux de sa race.

« C’était un homme. Nu, gisant, horrible à voir,
Avec un caillou plat il grattait ses ulcères,
Le jour durant sans pain, et sans sommeil le soir.

« Si pour te réjouir les maux sont nécessaires,
Il avait en cela cent fois bien mérité ;
Car ce juste n’avait point d’égal en misères.

« Loin de tous, en dehors des murs d’une cité,
Dans le pays de Hus où le péché domine,
Il maudissait la vie et ton iniquité.

« Oui, tordu par son mal, mangé par la vermine,
Vile forme sans nom parmi les animaux,
Il ouvrait ce regard que la haine illumine. »

Le Très-fort dit : « Qu’importe une chair en lambeaux ?
Le juste est celui seul qui lui-même s’oublie,
Et ne contemple pas uniquement ses maux.

— « Celui-ci n’avait point une âme ensevelie
Dans son propre tourment, si monstrueux qu’il fût :
Les pleurs universels l’avaient toute remplie.

« Moi, le rôdeur sournois et qui veille à l’affût,
Le fomenteur subtil des mauvaises pensées,
Je pris ce malheureux effroyable pour but.

« Et ses chairs tout d’abord furent cicatrisées ;
Je le guéris sur l’heure, et le soutins debout
N’ayant plus souvenir de ses hontes passées.

« Il regarda la cuve où s’amoncelle et bout
L’épais fourmillement des hommes, et qui fume ;
Puis l’horizon qui n’a commencement ni bout ;

« Et je vis qu’il restait dévoré d’amertume
En songeant à l’angoisse où ton peuple croupit
Sous ton oeil clos au fond d’une insondable brume.

« Je rendis la jeunesse à son corps décrépit ;
Je dressai l’arc noueux et brisé de son torse ;
Après, j’enveloppai ses membres d’un habit.

« La ville flamboyait comme une immense amorce.
Je lui dis : « Va ! La vie est bonne ; sois heureux ! »
Et je fis resplendir la beauté sur sa force.

« Il y marcha, parmi des mendiants poudreux ;
Et je vis, le suivant pas à pas à la piste,
Qu’il se sentait imbu du fiel de leurs yeux creux.

— « Eh bien ! Dit l’être unique à Satan : qu’il assiste
Son frère, celui-là qui voit l’appel d’autrui !
Cet homme s’en ira joyeux, s’il était triste.

— « L’aumône, il se peut bien, fait sourire celui
Qui donnant un denier se dit qu’il te le prête,
Et ne place un secours qu’au taux de ton appui.

« Je connais la prudence entre toutes secrète !
Lui, supputait, au fond de lui-même, combien
Sont là, pour qui jamais table ou moisson n’est prête.

« Morne, il allait, disant : « Je ne possède rien ! »
Je l’avais rendu jeune et fort ; je le fis riche
A ne pouvoir compter ses troupeaux ni son bien.

« Quiconque errait, sordide, et tel qu’un chien sans niche,
Vendangea dans sa vigne et glana dans son champ.
Mais l’ortie est tenace au coeur que l’on défriche !

« Si prodige fût-il, l’avare et le méchant
Pullulent sur la terre ; et lui, voyait sans cesse
De maigres doigts nouveaux à ses mains s’accrochant.

« Comprenant que pour un à qui l’on fait largesse
Mille crieront, vers toi les bras en vain dressés,
Généreux, il faisait l’aumône avec tristesse.

— « Ils ont l’amour, les fils de ceux que j’ai chassés !
Et la femme a des yeux où j’ai mis ma lumière.
Pour aimer le très-bon, qu’ils s’aiment ! C’est assez !

— « Parfois un astre brille au fond d’une paupière ;
Et l’amour est vraiment le reflet de l’Eden !
A qui veut l’entrevoir, un ange crie : « Arrière ! »

« Comme un ressouvenir du souriant jardin,
Il la chercha, l’ivresse ineffablement pure.
Mais la beauté qui charme a le cruel dédain.

« Il était beau. Toujours il vivait la torture
De ceux que la laideur a marqués en naissant
Pour servir à l’amour d’éternelle pâture.

« Il aima. Sa révolte encore allait croissant ;
Car, doué d’un esprit que la justice affame,
Les fureurs des jaloux le tenaient frémissant.

« C’est le suprême don que l’amour d’une femme.
Mais tout coeur qui se donne est pour d’autres perdu,
Et seul en est joyeux l’égoïste ou l’infâme.

« Il fut aimé. Mais lui, s’assombrissait, mordu
Par tous les désespoirs que la beauté méprise,
Par le cri furieux de l’amour entendu.

« Si grand qu’un bonheur soit, pour l’homme sans traîtrise,
S’il est fait du malheur d’un autre, n’est-ce pas
La coupe de poison que la main ivre a prise ?

« Et je riais de voir que tout fruit mûr, là-bas,
Est sûrement percé par un ver invisible ;
Et qu’il revomissait les plus puissants appâts.

« Et je prenais toujours ce coeur simple pour cible.
J’élargissais encor la part de son bonheur,
Sans qu’un remercîment pour toi lui fût possible.

— « Mon oeuvre est bon ainsi qu’il est ! dit le seigneur.
— Et les routes du ciel aux hommes sont fermées !
Je sais cela, reprit le parfait raisonneur.

« Les rêves les plus chers aux foules affamées,
Lui, les réalisait. Il fut roi sur les rois
Qui se disent choisis par le dieu des armées.

« le meurtre est le plaisir où tes fils sont adroits,
C’est la gloire de ceux qui portent la couronne ;
Mais la sienne chargeait son front, si tu m’en crois.

« O créateur d’Adam ! Quel concert t’environne !
De tous les avortons du couple rejeté,
Qui donc plus que ce roi se lamenta ? Personne !

« Léguant l’arrêt divin à leur postérité,
Tous ont gémi, les forts, les lâches, les victimes.
Nul n’a vécu plus pâle et plus épouvanté,

« Que ce puissant, par moi sorti des noirs abîmes
Pour être sur la terre, et plus qu’eux, revêtu
Du glacial frisson pris à toutes les cimes !

« le plus affreux supplice est l’extrême vertu.
Son grand sanglot déborde, et monte dans les âges
Vers celui qui toujours dans son ombre s’est tu.

« Ecoute ce qu’il dit, le sage entre les sages :
« Tout n’est que vanité, cendre, fumée ou vent !
« Et rien ne sert, travaux, fortune, apprentissages !

« Tout passe et meurt, le fou, l’inepte et le savant !
« Il n’est rien de nouveau ; tout vient par aventure !
« L’état d’un mort vaut mieux que l’état d’un vivant !

« Toutes sortes de maux rongent la créature,
« Et de tous la pensée est le pire tourment ;
« Et l’amour est amer plus que la sépulture ! »

« Voilà ton oeuvre ! Il est risible assurément
De te voir pour cela convoquer tes phalanges
A t’appeler Très-haut, Très-fort et Très-clément !

« Dis-leur donc devant moi de chanter tes louanges ! »
— Mais celui dont le trône est au fond des sept cieux,
Ne répondit plus rien au corrupteur des anges ;

L’invisible resta là-haut silencieux


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