À Michel Baronnet.
Bâti par des mains inconnues,
Un féerique palais, longtemps,
Ouvre au vent frais des avenues
Ses fenêtres à deux battants.
À chaque porte, en grand costume,
Sonnant du cor sur l’escalier,
Un page, selon la coutume,
Vante le seuil hospitalier.
Le suzerain de ce domaine,
Dans les salles de son palais,
En riche apparat se promène,
Comptant son or et ses valets.
D’heure en heure, son oeil avide
Interroge les horizons.
L’écheveau du temps se dévide ;
Les jours passent et les saisons.
Il attend toujours ses convives.
Malgré les vents, malgré les froids,
Il croit entendre leurs voix vives,
Et le galop des palefrois.
Sa table pour eux est dressée
Chaque jour, et tout prêt son vin.
Il les fête dans sa pensée ;
Et les pages sonnent en vain !
Maintes brillantes cavalcades
Passent là-bas sur les chemins,
Comme fuyant les embuscades
D’un manoir aux durs lendemains.
Noble, il se fie à la noblesse
Des invités de haut renom.
Honteux du doute qui le blesse,
Aux pages las il répond : » non !
» non ! Redorez toutes mes salles !
Rallumez ce soir les flambeaux !
Allez dans mes plaines vassales ;
Apportez-moi des fruits plus beaux !
» changez les fleurs sur ces balustres !
Resablez les routes du bois !
Ils viendront, mes hôtes illustres !
C’est en leur honneur que je bois ! »
Et nul ne vient ; nul équipage
Ne piaffe aux portes du château ;
Et sur son perron chaque page,
Épuisé, dort dans son manteau.
Tandis que le temps ronge et mine
Au dehors les murs récrépis,
Le palais toujours s’illumine,
Partout plein d’échos assoupis.
Un soir d’orage, les rafales,
Au bruit des volets rabattus,
Soufflent les torches triomphales
Dans la main des hérauts têtus.
Et voilà dans la nuit sonore
Des pas nombreux sur le parquet :
« Salut, dit l’hôte, à qui m’honore !
Et mon cœur vous revendiquait !
- « Allons ! Comme nous, tiens parole !
Lui répondent les arrivants ;
Mets à ton seuil ta banderole,
Malgré la nuit, malgré les vents.
« Nous venions tous en compagnie
À nos chevaux livrant les mors.
Le souffle d’un mauvais génie
Nous a bientôt fait tomber morts.
« Morts, nous tenons notre promesse ;
Et pour tombe nous choisissons,
Défunts sans cercueil et sans messe,
Ton palais aux mille échansons !
« Châtelain ! Qu’on nous rassasie ;
Mais de nous surtout n’attends pas
Discrétion ou courtoisie.
Il sera long, notre repas !
« Nous avons tué sur tes portes
Tes sonneurs de cor endormis.
Voyons comment tu te comportes,
Châtelain, avec tes amis !
« Nos noms étaient : joie, espérance,
Amour, gloire, bonheur, repos.
On lisait écrit : délivrance,
En lettres d’or sur nos drapeaux.
« On nous nomme aujourd’hui tristesse,
Solitude, soucis, douleur,
Et désespoirs. La sombre altesse
Qui nous commande est le malheur ! »
Et lui, pour fêter ces vampires,
Leur sert dans l’ombre, en frémissant,
Son cœur fier de ses longs martyres,
Son cœur loyal, riche de sang.
Et depuis, dans le noir domaine
Dure encor l’horrible festin.
On lit sur le porche : âme humaine
Qui tient sa parole au destin
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