Tristes vaincus, à l’oeil terne, au teint rance,
Anciens chanteurs ayant perdu la voix,
On n’a pour vous pitié ni déférence.
Mais je prétends vous venger ― je le dois ―
Des coups de pied de l’âne et du bourgeois.
Car le destin fut vraiment trop sévère
Et d’amertume a rempli votre verre.
Artistes fous et poètes crottés,
Je saluerai votre navrant calvaire.
Soyons cléments pour les pauvres ratés.
Tous, ils voulaient saisir une espérance ;
Mais le serpent leur glissa dans les doigts.
Jeunes et forts, pleins d’audace et d’outrance,
Ils aimaient l’art, ils s’écriaient : J’y crois !
Puis sont tombés, écrasés sous son poids.
Leur bref avril donna sa primevère.
Peut-être, éclos dans une autre atmosphère,
Auraient-ils eu de très féconds étés ?
Tel sot fleurit, parce qu’il persévère.
Soyons cléments pour les pauvres ratés.
Blessés de l’art, je plains votre souffrance.
Soldats partis pour la gloire autrefois,
Votre bâton de maréchal de France
Ne fut, hélas ! qu’une jambe de bois ;
Et, sur vos coeurs, ni médaille ni croix.
Mais à beaucoup d’heureux je vous préfère ;
Car vous rêviez, dès la première affaire,
De fiers drapeaux sur la brèche plantés,
Et vous avez combattu sans forfaire.
Soyons cléments pour les pauvres ratés.
ENVOI
Maîtres fameux, artistes qu’on révère,
Sous le laurier que la foule confère,
Songez-vous pas parfois, tout attristés,
Aux embryons étouffés dans l’ovaire ?
Soyons cléments pour les pauvres ratés.
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