L'album s’intitule The Marshall Mathers LP, mais c'est pourtant Slim Shady, son alter-égo maléfique qui est aux manettes dès l’intro. Tout au long du projet on pourra donc alterner entre Marshall et Slim Shady, comme ci nous étions dans la tête de l’artiste, témoins de son dédoublement de la personnalité.
« If you don't like it, you can suck his fucking cock
(Tell 'em they kissed my ass)
Little did you know, upon purchasing this album, you have just kissed his ass
(Tell 'em I'm fed up)
Slim Shady is fed up with your shit, and he's going to kill you
A-anything else? » Eminem – Public Service announcement 2000(Si tu n'aimes pas ça, tu peux sucer sa putain de bite. / (Dites-leur qu'ils ont embrassé mon cul) / Vous n'êtes pas sans savoir qu'en achetant cet album, vous venez de lui lécher le cul. / (Dites-leur que j'en ai marre) / Slim Shady en a marre de votre merde, et il va vous tuer.)
En effet, cette dernière sous forme de spot TV rétro nous invite à aller nous faire mettre après nous avoir annoncé qu’on s’est fait entuber en achetant ce CD. Une introduction qui nous plonge directement dans l’univers.
« When I was just a little baby boy,
my momma used to tell me these crazy things
She used to tell me my daddy was an evil man, she used to tell me he hated me
But then I got a little bit older
and I realized, she was the crazy one » Eminem – Kill You(Quand je n'étais qu'un petit garçon, / ma mère avait l'habitude de me dire des choses folles. / Elle me disait que mon père était un homme mauvais, / elle me disait qu'il me détestait / Mais ensuite, j'ai grandi un peu / et j'ai réalisé que c'était elle la folle)
Ayant connu une enfance difficile et une relation plus que conflictuelle avec sa maman, Eminem laisse place une nouvelle fois à Slim Shady sur Kill You, un morceau assez explicite quand aux intentions de meurtre de l’artiste. Ce disstrack est visé directement à l’encontre de sa génitrice. Il est bon de rappeler que Slim Shady est l’incarnation de Marshall plus jeune, tourmenté et malheureux.
Autant de faits qui ont forgé ce caractère dur et cette violence verbale. Le fait que Slim Shady incarne le rappeur lorsqu’il était encore enfant expliquerait d’ailleurs pourquoi cet alter égo s’exprime sans filtre. A la manière d’un enfant qui a simplement besoin d’extérioriser sa colère et sa frustration.
Une violence qu’on retrouvera tout au long du projet sous différentes formes. Elle sera notamment décrite sur Amityville.
« That's why the city is filled with a bunch of fuckin idiots still (still)
That's why the first motherfucker poppin some shit he gets killed (killed)
That's why we don't call it Detroit, we call it Amityville ('Ville) » Eminem – Amityville(C'est pourquoi la ville est remplie d'une bande de putains d'idiots encore (encore) / C'est pourquoi le premier fils de pute qui sort de la merde se fait tuer (tuer) / C'est pourquoi nous ne l'appelons pas Detroit, nous l'appelons Amityville ('Ville) / On peut être coiffé après avoir simplement fait remplir une cavité (rempli))
Pour ce morceau, Marshall laisse une nouvelle fois son alter-ego jouer le rôle du cracheur de feu. Sur ce titre il nous décrit de manière crue la violence et les règlements de compte dans le Ghetto dans lequel il a grandi.
Remember Me est également un titre qui nous plonge dans cette atmosphère sombre et angoissante du ghetto en débutant le morceau par des bruit des bombes de peinture et des tags.
Le projet et le rap d’Eminem a souvent été excellent, plus particulièrement lorsqu’il soigne ses maux part les mots.
Hormis les difficultés rencontrées au cours de sa jeunesse, Eminem a rapidement découvert les soucis liés à la célébrité, la pression des fans, les critiques ou encore le manque de vie privée.
Autant d’éléments qui l’ont poussé à sortir sa rage couverte de ses punchlines aiguisées sur des morceaux comme The Way I Am ou Who Knew.
« No patience is in me and if you offend me
I'm liftin' you 10 feet (liftin' you 10 feet).. In the air
I don't care who is there and who saw me destroy you
Go call you a lawyer, file you a lawsuit
I'll smile in the courtroom and buy you a wardrobe
I'm tired of all you (of all you).. » Eminem – The way I am(Je n'ai pas de patience et si vous m'offensez / Je te soulève de 3 mètres (je te soulève de 3 mètres)... Dans l'air / Je ne me soucie pas de qui est là et qui m'a vu te détruire... / Appelle un avocat et intente un procès. / Je sourirai au tribunal et t'achèterai une garde-robe. / Je suis fatigué de vous tous (de vous tous)..
Stan est un autre morceau traitant de la célébrité, cette fois-ci sous un angle différent.
« Just to chat, truly yours, your biggest fan, this is Stan
My tea's gone cold, I'm wondering why I got out of bed at all
The morning rain clouds up my window and I can't see at all
And even if I could it'd all be gray but your picture on my wall
It reminds me that it's not so bad, it's not so bad
Dear Slim, you still ain't called or wrote, I hope you have a chance » Eminem – Stan(Juste pour discuter, votre plus grand fan, voici Stan. / Mon thé est froid, je me demande pourquoi je suis sorti du lit. / La pluie du matin obscurcit ma fenêtre et je ne peux pas voir du tout. / Et même si je pouvais, tout serait gris, mais votre photo sur mon mur / Elle me rappelle que ce n'est pas si mal, ce n'est pas si mal. / Cher Slim, tu n'as toujours pas appelé ou écrit, j'espère que tu auras une chance.)
Il y soulève des questionnements autour de l’importance des fans pour un artiste de son calibre. Mais se positionne également dans la peau du fan qui aurait lui aussi besoin de l’artiste.
Musicalement, le morceau est un tube parmi les nombreux autres hits que l’on retrouve sur le projet mais celui-ci est particulièrement touchant. Le refrain mélodieux samplé sur un titre de Dido accompagne parfaitement les couplets techniques et poignants du rappeur.
Mais Marshall a aussi ses problèmes dans sa vie personnelle et sentimentale. Sur Kim, il dédie son texte à la mère de sa fille. Son ex-copine envers laquelle il entretient une colère noire. Ce titre est le récit d’une sombre soirée au cours de laquelle il songe au meurtre de cette dernière. Tout aussi effrayant qu'émouvant, Eminem approche ce morceau comme une ode à ses pulsions meurtrières, sans filtre et sans pudeur.
« At first I'm like aight you wanna throw me out that's fine.
But not for him to take my place, are you outcha mind?
This couch, this TV, this whole house is mine.
How could you let him sleep in our bed?
Look at Kim, look at your husband now, I said look at him, he ain't so hot now
is he? » Eminem – Kim(Au début, j'ai dit : "D'accord, tu veux me jeter, c'est bien. / Mais pas pour qu'il prenne ma place, tu es fou ? / Ce canapé, cette télé, toute cette maison est à moi. / Comment as-tu pu le laisser dormir dans notre lit ? / Regarde Kim, regarde ton mari maintenant, je t'ai dit de le regarder, il n'est plus si beau maintenant... /n'est-ce pas ?
Ce projet, hors des thèmes puissants qui le définissent, se caractérise par une technique de rap qui a souvent été citée parmi les meilleures. Preuve en est, pour son second album, on retrouve déjà l’élite de la scène hip hop US.
Ainsi, sur Bitch Please II, où Eminem nous démontre son passage dans une autre dimension en s’associant avec Dr. Dre, Snoop Dogg, Xzibit et Nate Dogg. Rien que ça !
En bref, cet album fondateur pour Eminem est tout sauf une suite de morceaux de musique dénués de sens posés aléatoirement les uns après les autres. Il s’agit la d’un véritable chef d’œuvre ponctué de cris et bruitages angoissants, de dialogues entre les multiples personnalités dans la tête du rappeur et de messages hors de la musique qui rendent l’œuvre encore plus immersive. Cette dernière nous permet de saisir les difficultés rencontrées par Eminem au cours de sa vie et d’en ressentir les émotions.
Son alter-égo Slim Shady lui permet de se livrer sans filtre avec ironie, sarcasme et cynisme. Le tout est accompagné d’une technique d’écriture qui restera marquante et inspirante pour une génération entière d’artistes.