À Eugène Zerlaut.
Voici le matin ridicule
Qui vient décolorer la nuit,
Réveillant par son crépuscule
Le chagrin, l’intrigue et le bruit.
Corrects, le zinc et les ardoises
Des toits coupent le ciel normal,
On dort, dans les maisons bourgeoises.
Je ne dors pas. Quel est mon mal ?
Est-ce une vie antérieure
Qui me poursuit de ses parfums ?
Ces gens vont grouiller tout à l’heure,
Dispersant mes rêves défunts.
Je me souviens ! c’étaient des frères
Que, chef bien-aimé, je menais
À travers les vastes bruyères,
Les aubépines, les genêts.
Oh ! quelle bien-aimée exquise
Au doux cœur, aux yeux de velours !…
Une autre terre fut conquise
Où le soleil brillait toujours.
L’or dont on fit des broderies,
Les gemmes, cristaux des couchants,
Les fleurs, énervantes féeries,
Les aromates plein les champs
M’ont enivré. J’ai mis des bagues,
Et des perles dans mes cheveux.
Les bayadères aux yeux vagues
M’ont distrait de mes premiers vœux.
Aux monts où le soleil se couche
Emporté par des étrangers,
J’ai pleuré, muet et farouche
Tous mes ravissements changés
Les aromes en fades herbes,
Les diamants en froid cristal,
En loups gris les tigres superbes,
En sapin banal le santal.
Puis, mal consolé, sous les branches,
J’épiais dans les froids vallons
Les filles qui passaient si blanches,
Si graves, sous leurs cheveux blonds.
Mais ce n’était pas l’oubliée
Aux lèvres rouges de bétel
À ma vie autrefois liée !…
Que je souffre d’être immortel !
Corrects, le zinc et les ardoises
Des toits coupent le ciel normal,
On s’éveille aux maisons bourgeoises,
Je crois que je meurs de mon mal.
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