Du temps que, sur les eaux, toutes choses vivantes
Vivaient dans l’Arche de Noé :
Les femmes, les bergers, les animaux, les plantes,
On eut besoin d’un messager ;
D’un messager discret, aventureux et sage,
Qui puisse voler et monter
Plus haut que l’horizon, la brise et le nuage,
Jusqu’au Seigneur d’éternité.
L’Aigle se proposa : Non ! ton aile est méchante,
S’écria Noé… Je suis sûr
Qu’elle épouvanterait les étoiles tremblantes
Qui gardent la porte d’azur.
Le Hibou s’avança : Ce n’est pas ton affaire,
Pauvre bête au pénible vol,
Car le soleil t’aveuglerait de sa lumière…
– Alors, moi ? » dit le Rossignol ;
« Toi ?» dit Noé, « hélas ! le moindre clair de lune
Réveillerait ton chant divin.
Et, grisé de musique au bord de la nuit brune,
Tu perdrais toujours ton chemin.
Non, ce qu’il me faudrait, ce n’est pas ton délire,
Ni les ailes de l’alcyon ;
Ce n’est qu’un messager modeste, et qui n’attire
Aucunement l’attention. »
À ces mots, un petit oiseau couleur de terre
Vint devant lui se présenter :
« Je n’ai », dit-il, « ni rang, ni ruse, ni mystère,
Mais j’ai ma bonne volonté ;
Donnez-moi le message, et, dans quelques secondes,
J’aurai pu passer sans péril ;
Je suis l’oiseau le plus ordinaire du monde :
Choisissez-moi ! – Ainsi soit-il ! »
Fit Noé, lui donnant le message céleste :
« Pars, mon petit Martin-Pêcheur ;
Nous t’attendons ici, dans ce bateau qui reste
Éternellement voyageur. »
Et le Martin-Pêcheur, sortant par la fenêtre,
S’élança dans le jour nacré,
Parmi cet air lavé de pluie et que, peut-être,
Personne n’avait respiré.
Il monta ! Il monta ! chargé de son message
Qu’il se répétait tout le temps ;
Il traversa l’éclair, la brise, le nuage,
Volant toujours, toujours montant ;
Mais, lorsqu’il eut touché la voûte sans mélange
Du vrai ciel où demeure Dieu,
Il ne eut, n’ayant pas les poumons d’un archange,
Respirer un air aussi bleu ;
Et, son cœur étouffé comme au milieu des ronces,
Il retomba fou de clarté,
N’ayant pas eu le temps d’attendre la réponse
Qu’il espérait tant rapporter !
Il revit l’arche… Il frappe à la fenêtre… On ouvre…
« Toi ? » dit Noé… « Que tu es beau !
Quel est ce manteau bleu, si bleu, qui te recouvre ?
– Mais non, je n’ai pas de manteau.
Un manteau merveilleux ! éblouissant de charme !
- Comment ? » fit le Martin-Pêcheur.
« Ah ! » dit Noé, tombant à genoux, tout en larmes…
« C’est la réponse du Seigneur ;
Car je lui demandais ardemment que nous eûmes
La preuve d’un sort éternel,
Et voici qu’il daigna m’envoyer, sur tes plumes,
Un vrai petit morceau de ciel. »
Le Déluge cessa. Tout refleurit sur terre :
Les saisons, les nuits et les jours ;
Et tous les cœurs humains de nouveau s’approchèrent
Du feu, de l’orgueil, de l’amour…
Mais le Martin-Pêcheur, le messager céleste,
Garda l’éternel manteau bleu
Afin que nous sachions que, seul, un cœur modeste
Peut parfois s’approcher de Dieu.