XCI.
A la beauté les yeux comme à leur centre tirent,
Le coeur et les désirs suivent des voeux les lois :
On ne sauroit garder ce que plusieurs désirent,
Et les désirs ne sont sous l'Empire des Rois.
XCII.
Tout l'heur et le malheur qui se rencontre aux hommes,
Vient de l'opinion qui commande sur eux :
L'opinion nous fait autres que nous ne sommes,
Malheureux est celui qui se pense être heureux.
XCIII.
De contraires effets se forme la tristesse,
La fumée et le ris emplissent l'oeil de pleurs :
Qui sème des douleurs aura de l'allégresse,
Qui sème l'allégresse en aura des douleurs.
XCIV.
Otons oui et non du discours ordinaire,
Ces mots ne servent rien que d'un amusement,
La feintise aujourd'hui leur donne un sens contraire,
Et le mensonge prend la force du serment.
XCV.
L'amitié aujourd'hui au son du gain s'éveille,
Comme l'on voit aller au froment les fourmis :
Les vautours à la proie, aux fleurettes l'abeille,
On voit vite courir au profit les amis.
XCVI.
Qui t'a ravi l'honneur se trompe, s'il présume
La vie te laissant, qu'il te fait un grand bien :
L'oiseau ne doit plus vivre ayant perdu sa plume,
Quand l'honneur est perdu ce qui reste n'est rien.
XCVII.
Ce qui suffit pour vivre on le trouve sans peine,
Au besoin le Soleil nous peut servir de feu :
Je blâme également Apice et Diogene,
L'un pour aimer le trop et l'autre le trop peu.
XCVIII.
On donne bien souvent de mauvais interprètes
Aux actions qui ont plus d'ordre et de raison ;
Tout est mal aux méchants, et de mêmes fleurettes,
L'abeille fait le miel, l'araignée le poison.
XCIX.
Heureux peuple qui vis sous un Roi doux & juste,
La justice est l'épée et l'amour le bouclier,
Ces deux vertus ont mis entre les Dieux Auguste,
Et le sceptre du Roi sans elle n'est entier.
C.
Le bonheur, la faveur, le travail, le courage,
Aux biens et aux honneurs font l'homme parvenir,
Mais le chemin est long, c'est un grand avantage,
Naître grand, et n'avoir peine à le devenir.