LI.
Il n'y a point de mort soudaine à l'homme sage,
De tous les accidents son coeur va au devant :
Quand il s'embarque il pense au péril du naufrage,
Et cesse de voguer quand il n'a plus de vent.
LII.
Puisque tu ne sais pas où la mort te doit prendre,
Si de nuit ou de jour, en quel âge, en quel point :
En tout temps, en tout lieu il te la faut attendre,
Car de ce qu'on attend on ne s'étonne point.
LIII.
Si l'enfant sort du monde aussitôt qu'il y entre,
Les bons vivent bien peu, le méchant envieillit :
Ne cherche curieux d'un tel secret le centre,
Ce sont coups de la main qui jamais ne faillit.
LIV.
Pourquoi le bon s'en va, et le méchant demeure,
Ne t'en informes point, Dieu l'a permis ainsi :
L'un meurt pour vivre, l'autre a vie afin qu'il meure,
Le méchant vit à l'aise, et le bon en souci.
LV.
Si du cours de tes ans tu retranches le somme,
Les soucis, et ce feu qui brûle peu à peu :
Ce qu'en prend un ami, et ta femme en consomme,
Les douleurs, les procès, il t'en reste bien peu.
LVI.
Une rage de dents, une fièvre, une goutte,
Une ulcère en ta jambe, une pierre en tes reins,
Te contraint distiller ton âme goute à goute,
Et quand la mort t'en veut délivrer tu te plains.
LVII.
Quand le terme est venu tu veux payer de fuite,
Tu crois faire beaucoup en gagnant quelque mois,
Mais puisqu'il faut payer, il n'est que d'être quitte,
La mort ne sera pas plus douce une autrefois.
LVIII.
Ne remets du départ à demain tes affaires,
Chez le retardement loge le repentir :
En un moment la mer et les vents sont contraires,
Toute heure est bonne à qui se résout de partir.
LIX.
Te plaignant de mourir en la fleur de ton âge,
Tu te plains de sortir trop tôt de la prison,
Tu te fiches d'avoir achevé ton voyage,
Et d'avoir recueilli tes fruits en leur saison.
LX.
Dresse de tes vertus, non de tes jours le compte,
Ne pense pas combien, mais comme aller tu dois,
Vois jusques à quel prix ta besogne se monte,
On juge de la vie et de l'or par le poids.