44 A mon labeur jour et nuict veille
Maurice Scève

Poème 44 A mon labeur jour et nuict veille

CCCXCIIII [=CCCL???IIII] .

Me desaymant par la severité
De mon estrange, & propre jugement,
Qui me fait veoir, & estre en verité
Non meritant si doulx soulagement,
Comme celluy, dont pend l’abregement
De mes travaulx me bienheurantz ma peine,
Je m’extermine, & en si grande hayne
De mes deffaultz j’aspire a la merveille
D’un si hault bien, que d’une mesme alaine
A mon labeur le jour, & la nuict veille.

CCXCV [=CCCL???V] .

Dessus ce Mont, qui la Gaule descouvre,
Ou lon [=l’on] entent les deux Soeurs resonner,
Lors que la nuict a l’esprit sa guerre ouvre,
Je luy voulois paix, & repos donner,
Avec le lict cuydant abandonner
Mes tristes pleurs, mes confuses complainctes.
Quand le Soleil dessus ses roues painctes
Celle a mes yeulx soubdain representa,
Qui par douleurs, ny par cruaultez maintes
De ce coeur sien oncques ne s’absenta.

CCCXCVI [=CCCL???VI] .

Quand Apollo apres l’Aulbe vermeille
Poulse le bout de ses rayons dorez,
Semble a mon oeil, qui lors point ne sommeille,
Veoir les cheveulx, de ce Monde adorez,
Qui par leurs noudz de mes mortz decorez
M’ont a ce joug jusqu’a ma fin conduyct.
Et quand apres a plaine face il luyt,
Il m’est advis, que je voy clerement,
Les yeulx, desquelz la clarté tant me nuyt,
Qu’elle esblouyt ma veue entierement.

CCCXCVII [=CCCL???VII] .

Ou celle estoit au festin, pour laquelle
Avecques moy le Ciel la Terre adore,
La saluant, comme sur toutes belle,
Je fus noté de ce, que je l’honnore,
Ce n’est vilté ce n’est sottié encore,
Qui cy m’à faict pecher villainement:
Mais tout ainsi qu’a son advenement
Le cler Soleil> les estoilles efface,
Quand suis entré j’ay creu soubdainement,
Qu’elle estoit seule au lustre de sa face.

CCCXCVIII [=CCCL???VIII] .

Ce doulx venin, qui de tes yeulx distille,
M’amollit plus en ma virilité,
Que ne feit onc au Printemps inutile
Ce jeune Archier guidé d’agilité.
Donc ce Thuscan pour vaine utilité
Trouve le goust de son Laurier amer:
Car de jeunesse il aprint a l’aymer.
Et en Automne Amour, ce Dieu volage,
Quand me voulois de la raison armer,
A prevalu contre sens, & contre aage.

CCCXCIX [=CCCL???IX] .

Elle à le coeur en si hault lieu assis
Qu’elle tient vil ce, que le Monde prise:
Et d’un sens froit tant constamment rassis
Estime en soy ce, que chascun mesprise.
Dont par raison en la vertu comprise
Ne se tient plus icy bas endormie.
Mais tasche encor, comme intrinseque amye,
A me vouloir a si hault bien instruire.
Mesmes voyant l’Aigle, nostre ennemye,
Par France aller son propre nid destruire.

CCCC [=CCCXC] .

Toutes les fois que je voy eslever
Tes haultz sourcilz, & leurs cornes ployer
Pour me vouloir mortellement grever,
Ou tes durs traictz dessus moy employer,
L’Ame craignant si dangereux loyer,
Se pert en moy, comme toute paoureuse,
O si tu es de mon vivre amoureuse,
De si doulx arcz ne crains la fureur telle.
Car eulx cuidantz donner mort doloureuse,
Me donnent vie heureuse, & immortelle.

CCCCI [=CCCXCI] .

Non (comme on dit) par feu fatal fut arse
Ceste Cité sur le Mont de Venus:
Mais la Deesse y mit la flambe esparse,
Pource que maintz par elle estoient venuz
A leur entente, & ingratz devenuz,
Dont elle ardit avecques eulx leur Ville.
Envers les siens ne sois donc incivile
Pour n’irriter & le filz, & la mere.
Les Dieux hayantz ingratitude vile,
Nous font sentir double vengeance amere.

CCCCII [=CCCXCII] .

Les elementz entre eulx sont ennemys,
Movantz tousjours continuelz discors:
Et toutesfois se font ensemble amys
Pour composer l’union de ce corps.
Mais toy contraire aux naturelz accordz,
Et a tout bien, que la Nature baille,
En ceste mienne immortelle bataille
Tu te rens doulce, & t’appaises soubdain:
Et quand la paix a nous unir travaille,
Tu t’esmeulx toute en guerre, & en desdain.