40 Plus par doulceur que par force
Maurice Scève

Poème 40 Plus par doulceur que par force

CCCLVIII [=CCCXLVIII] .

Par ce penser tempestant ma pensée
Je considere en moy l’infirmité,
Ou ma santé je voy estre pansée
Par la rigueur, & celle extremité
Non differente a la calamité,
Qui se fait butte a cest Archier mal seur.
Pourquoy, Amour, comme fier aggresseur,
Encontre moy si vainement t’efforces?
Elle me vainct par nayve doulceur
Trop plus, que toy par violentes forces.

CCCLIX [=CCCXLIX] .

Tu as, Anneau, tenu la main captive,
Qui par le coeur me tient encor captif,
Touchant sa chair precieusement vive
Pour estre puis au mal medicatif,
Au mal, qui est par fois alternatif.
Fn [=En] froit, & chault meslez cruellement.
Dont te portant au doigt journellement,
Pour medecine enclose en ton oblique,
Tu me seras perpetuellement
De sa foy chaste eternelle relique.

CCCLX [=CCCL] .

Je ne me puis aysément contenter
De ceste utile, & modeste maniere
De voile umbreux pour desirs tourmenter,
Et rendre a soy la veue prisonniere:
Par ou Amour, comme en sa canonniere,
Espie Amans dans son assiette forte.
En ce mesaise aumoins je me conforte,
Que le Soleil si clerement voyant,
Pour te congnoistre, & veoir en quelque sorte,
Va dessus nous, mais en vain, tournoyant.

CCCLXI [=CCCLI] .

Qui cuyderoit du mylieu de tant d’Anges
Trop plus parfaictz, que plusieurs des haultz cieulx,
Amour parfaire aultrepart ses vendanges,
Voire en Hyver, qui jà pernicieux
Va depeuplant les champs delicieux,
De sa fureur faisant premier essay.
Et qu’il soit vray, & comme je le scay:
Constrainct je suis d’un grand desir extresme
Venir au lieu, non ou je te laissay,
Mais, t’y laissant je m’y perdis moymesme.

CCCLXII [=CCCLII] .

Non moins ardoir je me sens en l’absence
Du tout de moy pour elle me privant,
Que congeler en la doulce presence,
Qui par ses yeulx me rend mort, & vivant.
Or si je suis le vulgaire suyvant,
Pour en guerir, fuyr la me fauldroit.
Le Cerf blessé par l’archier bien adroit
Plus fuyt la mort, & plus sa fin approche.
Donc ce remede a mon mal en vauldroit.
Sinon, moy mort, desesperé reproche.

CCCLXIII [=CCCLIII] .

Sa vertu veult estre aymée, & servie,
Et sainctement, & comme elle merite,
Se captivant l’Ame toute asservie,
Qui de son corps en fin se desherite:
Lequel devient pour un si hault merite.
Plus desseché, qu’en terre de Lemnos.
Et luy estant jà reduict tous en os,
N’est d’aultre bien, que d’espoir revestu.
Je ne suis point pour ressembler Minos,
Pourquoy ainsi, Dictymne, me fuis tu?

CCCLXIIII [=CCCLIIII] .

Quand (ô bien peu) je voy aupres de moy
Celle, qui est la Vertu, & la Grace:
Qui paravant ardois en grand esmoy,
Je me sens tout reduict en dure glace.
A donc [=Adonc] mes yeulx je dresse a veoir la face,
Qui m’à causé si subit changement:
Mais ma clarté s’offusque tellement,
Que j’ars plus fort en fuyant ses destroitz:
Comme les Montz, lesquelz communement
Plus du Soleil s’approchent, plus sont froidz.

CCCLXV [=CCCLV] .

L’Aulbe venant pour nous rendre apparent
Ce, que l’obscur des tenebres nous cele,
Le feu de nuict en mon corps transparent,
Rentre en mon coeur couvrant mainte estincelle,
Et quand Vesper sur terre universelle
Estendre vient son voile tenebreux,
Ma flamme sort de sont [=son] creux funebreux,
Ou est l’abysme a mon cler jour nuisant,
Et derechef reluit le soir umbreux
Accompaignant le Vermisseau luisant.

CCCLXVI [=CCCLVI] .

Quand Apollo à sué le long du jour.
Courant au sein de sa vielle amoureuse,
Et Cynthia vient faire icy sejour
Pour donner lieu a la nuict tenebreuse,
Mon coeur alors de sa fornaise umbreuse
Ouvre l’Etna de mes flammes ardentes,
Lesquelles sont en leur cler residentes,
Et en leur bruyt durent jusques a tant,
Que celle estainct ses lampes evidentes,
De qui le nom tu vas representant.