37 Dedens je me consume
Maurice Scève

Poème 37 Dedens je me consume

CCC???I [=CCCXXI] .

Lors que le Linx de tes yeulx me penetre
Jusques au lieu, ou piteusement j’ars,
Je sens Amour avec pleine pharetre
Descendre au fond pour esprouver ses arcs.
Adonc, craingnant ses Magiciens arts,
L’Ame s’enfuit souffrir ne le povant.
Et luy vainqueur plus fier, qu’au paravant,
Pour le desgast le feu par tout allume,
Lequel ayant joye, & rys au devant
Ne monstre hors ce, qu’en moy il consume.

CCC???II [=CCCXXII] .

Merveille n’est, Deesse de ma vie,
Si en voyant tes singularitez
Me croist tousjours, de plus en plus, l’envie
A poursuyvir si grandes raritez.
Je sçay asses, que noz disparitez
(Non sans raison) feront esbahyr maints.
Mais congnoissant soubz tes celestes mains
Estre mon ame heureusement traictée,
J’ay beaucoup plus de tes actes humains,
Que liberté de tous tant souhaictée.

CCC???III [=CCCXXIII] .

Maulvais usage, & vaine opinion
Gastent le bon de nostre mortel vivre,
Ou toute saincte, & parfaicte union
Nous fait le vray de l’equité ensuyvre.
Aussi a bien vertueusement vivre
En son amour seulement commençoys,
Quand je te vy, (& bienheureuse en soys)
Savoye ostée a ton persecuteur,
Reduicte aux mains de ce premier francoys,
Premier, & seul des vertus redempteur.

CCC???IIII [=CCCXXIIII] .

Les rhetz dorez, dont Amour me detient
Lyé, & pris soubz tes vermeilles roses,
Desquelles l’un, & l’aultre relief tient
Un ordre uny de tes perles encloses,
M’ont captivé l’esprit, ou tu reposes
Avecques moy, & ou tu me nourris
Par doulx accueilz, & gracieux soubriz,
Par sainctes moeurs, qui font evidamment
Un Paradis a tous espritz marriz,
Et au mien tristé un Enfer ardemment.

CCC???V [=CCCXXV] .

D’un magnanime, & haultain coeur procede
A tout gentil de donner en perdant:
Mesme qu’alors tant tout il se possede,
Que sien il est, tout aultre a soy rendant.
Et tu m’as veu, jà long temps, attendant
De ta pitié si commendable usure,
Que sans point faire a ta vertu injure,
Plus, que pour moy, pour toy je m’esvertue.
Et par se nom encor je t’en adjure,
Qui en mon coeur escript te perpetue.

CCC???VI [=CCCXXVI] .

Je souspiroys mon bien tant esperé,
Comme un malade attend a son salut,
Cuydant avoir asses bien prosperé,
Ou vain espoir rien, ou peu, me valut:
Mais recourir ailleurs il me fallut
Pour me trouver briefve expedition.
Parquoy voyant, que la condition
De mon mal est, qu’au guerir il s’indigne,
A celle suis tout en perdition,
Que j’offençay pour l’adorer indigne.

CCC???VII [=CCCXXVII] .

Delie aux champs troussée, & accoustrée,
Comme un Veneur, s’en alloit esbatant.
Sur le chemin d’amour fut rencontrée,
Qui par tout va jeunes Amantz guettant:
Et luy à dit près d’elle volletant:
Comment? vas tu sans armes a la chasse?
N’ay je mes yeulx dit elle, dont je chasse,
Et par lesquelz j’ay maint gibbier surpris?
Que sert ton arc, qui rien ne te pourchasse,
Veu mesmement que par eulx je t’ay pris?

CCC???VIII [=CCCXXVIII] .

Tant variable est l’effect inconstant
De la pensée encor plus incertaine,
Que sur les doigtz deux pour troys va comptant,
Et tient jà près la chose bien loingtaine.
Car estant pris dessoubz sa main haultaine,
Je m’en allois plorant la teste basse:
Et devant elle ainsi comme je passe,
En me voyant me jecte un soubris d’oeil,
Qui me feit rire: & par ce je compasse
Amour leger mesler joye en mon dueil.

CCC???IX [=CCCXXIX] .

Vouldrois je bien par mon dire attrapper,
Ou a mes voeutz efforcer ma Maistresse?
Je ne le fais sinon pour eschapper
De ceste mienne angoisseuse destresse.
Pource a l’Archier, le plus de temps, m’adresse,
Comme a celluy, qui plus de mal me faict:
Mais quoy? Amour, Cocodrille parfaict,
Que ce fol Monde aveuglément poursuyt,
Nous suit alors, qu’on le fuyt par effect,
Et suyt [=fuyt] celluy, qui ardemment le fuyt [=suyt].