35 Qui bien se voit orgueil abaisse
Maurice Scève

Poème 35 Qui bien se voit orgueil abaisse

CCCXIII [=CCCIII] .

Cest Oeil du Monde, universel spectacle
Tant reveré de Terre, Ciel, & Mer,
En ton miroir, des miracles miracle,
Il s’apperçoit justement deprimer,
Voyant en toy les Graces s’imprimer
Trop mieulx, qu’en luy nostre face a le veoir.
Parquoy tel tort ne povant recevoir,
S’en fuyt de nous, & ce Pole froid laisse,
Tacitement te faisant asçavoir,
Que, qui se veoit, l’enflé d’orgeuil abaisse.

CCCXIIII [=CCCIIII] .

Apparoissant l’Aulbe de mon beau jour,
Qui rend la Mer de mes pensers paisible,
Amour vient faire en elle doulx sejour,
Plus fort armé, toutesfoys moins noysible.
Car a la veoir alors il m’est loysible,
Sans qu’il m’en puisse aulcunement garder.
Parquoy je vien, coup a coup, regarder
Sa grand’ beaulté, & d’un tel appetit,
Qu’a la reveoir ne puis un rien tarder,
Me sentant tout en veue trop petit.

CCCXV [=CCCV] .

Mon ame en Terre (un temps fut) esprouva
Des plus haultz Cieulx celle beatitude,
Que l’oeil heureux en ta face trouva,
Quand il me mit au joug de servitude.
Mais, las, depuis que ton ingratitude
Me desroba ce tant cher privilege
De liberté, en son mortel College
Malheur me tient soubz sa puissance grande.
Aussi cest An par Mort, qui tout abrege,
France perdit ce, qu’à perdu Hollande.

CCCXVI [=CCCVI] .

Ta beaulté fut premier, & doulx Tyrant,
Qui m’arresta tresviolentement:
Ta grace apres peu a peu m’attirant,
M’endormit tout en son enchantement:
Dont assoupy d’un tel contentement,
N’avois de toy, ny de moy congnoissance.
Mais ta vertu par sa haulte puissance
M’esveilla lors du sommeil paresseux,
Auquel Amour par aveugle ignorance
M’espovantoit de maint songe angoisseux.

CCCXVII [=CCCVII] .

Plus je la voy, plus j’adore sa face,
Miroir meurdrier de ma vie mourante:
Et n’est plaisir, qu’a mes yeulx elle face,
Qu’il ne leur soit une joye courante,
Comme qui est de leur mal ignorante,
Et qui puis vient en dueil se convertir.
Car du profond du Coeur me fait sortir
Deux grandz ruisseaulx, procedantz d’une veine,
Qui ne se peult tarir, ne divertir,
Pour estre vive, & sourgeante fontaine.

CCCXVIII [=CCCVIII] .

La craincte adjoinct aeles aux piedz tardifz,
Pour le peril eminent eschapper,
Et le desir rend les couardz hardiz,
Pour a leur blanc diligemment frapper.
Mais toy, Espoir, tu nous viens attraper,
Pour nous promettre, ou aspirer on n’ose.
Parquoy estant par toy liberté close,
Le seul vouloir petitement idoyne,
A noz plaisirs, comme le mur s’oppose
Des deux Amantz baisé en Babyloine.

CCCXIX [=CCCIX] .

Plus pour esbat, que non pour me douloir
De tousjours estre en passions brulantes,
Je contentois mon obstiné vouloir:
Mais je sentis ses deux mains bataillantes,
Qui s’opposoient aux miennes travaillantes,
Pour mettre a fin leur honneste desir.
Ainsi, Enfant, comme tu peulx saisir,
Et (quand te plait) hommes, & Dieux conquerre:
Ainsi tu fais (quand tu vient a plaisir)
De guerre paix, & de celle paix guerre.

CCCXX [=CCCX] .

Tu te verras ton yvoire cresper
Par l’oultrageuse, & tardifve Vieillesse.
Lors sans povoir en rien participer
D’aulcune joye, & humaine liesse,
Je n’auray eu de ta verte jeunesse,
Que la pitié n’à sceu a soy ployer,
Ne du travail, qu’on m’à veu employer
A soustenir mes peines ephimeres,
Comme Apollo, pour merité loyer,
Sinon rameaulx, & fueilles tresameres.

CCCXXI [=CCCXI] .

Asses ne t’est d’avoir mon coeur playé,
Mais tout blessé le tenir en destresse,
Ou tant Tyrant, fors toy, eust essayé,
L’avoir vaincu, le jecter hors d’oppresse.
Et tu luy as, non point comme Maistresse,
Mais comme sien capital adversaire,
Osté l’espoir a ce mal necessaire:
Lequel par toy si aigrement le mord,
Que se sentant forcé soubz tel Coursaire,
Pour non mourir tousjours, ne crainct la Mort.