25 Te nuisant je me dommage
Maurice Scève

Poème 25 Te nuisant je me dommage

CCXXIII [=CCXIII] .

Si droit n’estoit, qu’il ne fust scrupuleux
Le traict perçant au fons de ma pensée.
Car quand Amour jeunement cauteleux
(Ce me sembloit) la finesse eust pensée,
Il m’engendra une contrepensée
Pour rendre a luy le lieu inaccessible,
A luy, a qui toute chose est possible,
Se laissant vaincre aux plus forcez combas.
Voicy la fraulde, ô Archier invincible,
Quand je te cuyde abatre, je m’abas.

CCXLIIII [=CCXXIIII] [=CCXIIII] .

Le practiquer de tant diverses gentz,
Solicitude a mes ardeurs contraire,
Et le pressif des affaires urgentz
N’en peuvent point ma pensée distraire,
Si vive au coeur la me voulut pourtraire
Celluy, qui peult noz vouloirs esgaller,
Comme il me fait en sa presence aller
Contre l’effort du plus de mes deffences
Pour l’escouter, & en son sainct parler
Tirer le sel de ses haultes sentences.

CCXXV [=CCXV] .

Je m’en absente & tant, & tant de foys,
Qu’en la voyant je la me cuyde absente:
Et si ne puis bonnement toutesfoys,
Que, moy absent, elle ne soit presente.
Soit que desdaing quelquesfoys se presente
Plein de juste ire, & vienne supplier,
Que, pour ma paix, je me vueille allier
A bien, qui soit loing de maulx tant extremes.
Mais quand alors je la veulx oblier,
M’en souvenant, je m’oblie moymesmes.

CCXXVI [=CCXVI] .

En divers temps, plusieurs jours, maintes heures,
D’heure en moment, de moment a tousjours
Dedans mon Ame, ô Dame, tu demeures
Toute occupée en contraires sejours.
Car tu y vis & mes nuictz, & mes jours,
Voyre exemptez des moindres fascheries:
Et je m’y meurs en telles resveries,
Que je m’en sens haultement contenté,
Et si ne puis refrener les furies
De ceste mienne ardente voulenté.

CCXXVII [=CCXVII] .

Amour ardent, & Cupido bandé,
Enfantz jumeaulx de toy, mere Cypris,
Ont dessus moy leur povoir desbandé,
De l’un vaincu, & de l’aultre surpris.
Par le flambeau de celluy je fus pris
En doulx feu chaste, & plus, que vie, aymable.
Mais de cestuy la poincte inexorable
M’incite, & poinct au tourment, ou je suis
Par un desir sans fin insatiable
Tout aveuglé au bien, que je poursuis.

CCXXVIII [=] .

De tous travaulx on attend quelque fin,
Et de tous maulx aulcun allegement:
Mais mon destin pour mon abregement
Me cherche un bien, trop esloingné confin
De mon espoir, & tout cecy affin
De m’endurcir en longue impatience.
Bien que j’acquiere en souffrant la science
De parvenir a choses plus prosperes,
Si n’est ce pas (pourtant) qu’en patience
J’exerce en moy ces deux uterins freres.

CCXXIX [=CCXIX] .

Authorité de sa grave presence
En membres apte a tout divin ouvrage,
Et d’elle veoir l’humaine experience,
Vigueur d’esprit, & splendeur de courage
N’esmeuvent point en moy si doulce rage,
Bien qu’a mon mal soient incitation.
Mais a mon bien m’est exhortation
Celle vertu, qui a elle commune,
Cherche d’oster la reputation
A l’envieuse, & maligne Fortune.

CC??? [=CCXX] .

Deliberer a la necessité,
Souvent resouldre en perilleuse doubte,
M’ont tout, & tant l’esprit exercité,
Que bien avant aux hazardz je me boute.
Mais si la preuve en l’occurrente doubte
Sur le suspend de comment, ou combien,
Ne doy je pas en tout preveoir si bien,
Que je ne soye au besoing esperdu?
Las plus grand mal ne peult avoir mon bien,
Que pour ma faulte estre en un rien perdu.

CC???I [=CCXXI] .

Sur le Printemps, que les Aloses montent,
Ma Dame, & moy saultons dans le batteau,
Ou les Pescheurs entre eulx leur prinse comptent,
Et une en prent: qui sentant l’air nouveau,
Tant se debat, qu’en fin se saulve en leau,
Dont ma Maistresse & pleure, & se tourmente.
Cesse: luy dy je, il fault que je lamente
L’heur du Poisson, que n’as sceu attraper,
Car il est hors de prison vehemente,
Ou de tes mains ne peuz onc eschapper.