24 Mes pleurs mon feu decelent
Maurice Scève

Poème 24 Mes pleurs mon feu decelent

CCXIIII [=CCIIII] .

Ce hault desir de doulce pipperie
Me va paissant, & de promesses large
Veult pallier la mince fripperie
D’espoir, attente, & telle plaisant’ charge,
Desquelz sur moy le maling se descharge,
Ne voulant point, que je m’en apperçoyve.
Et toutesfois combien que je conçoyve,
Que doubte en moy vacilamment chancelle,
Mes pleurs, affin que je ne me deçoyve,
Descouvrent lors l’ardeur, qu’en moy je cele.

CCXV [=CCV] .

Si ne te puis pour estrenes donner
Chose, qui soit selon toy belle, & bonne,
Et que par faict on ne peult guerdonner
Un bon vouloir, comme raison l’ordonne,
Au moins ce don je le presente, & donne,
Sans aultre espoir d’en estre guerdonné:
Qui, trop heureux ainsi abandonné:
Est, quant a toy, de bien petite estime:
Mais, quant a moy, qui tout le t’ay donné,
C’est le seul bien, apres toy, que j’estime.

CCXVI [=CCVI] .

Lors le suspect, agent de jalousie,
Esmeult le fondz de mes intentions,
Quand sa presence est par celuy saisie,
Qui à la clef de ses detentions.
Parquoy souffrant si grandz contentions,
L’Ame se pert au dueil de telz assaultz.
Dueil traistre occulte, adoncques tu m’assaulx,
Comme victoire a sa fin poursuyvie,
Me distillant par l’Alembic des maulx
L’alaine, ensemble & le poulx de ma vie.

CCXVII [=CCVII] .

Je m’asseurois, non tant de liberté
Heureuse d’estre en si hault lieu captive,
Comme tousjours me tenoit en seurté
Mon gelé coeur, donc mon penser derive,
Et si tresfroit, qu’il n’est flambe si vive,
Qu’en bref n’estaingne, & que tost il n’efface.
Mais les deux feuz de ta celeste face,
Soit pour mon mal, ou certes pour mon heur,
De peu a peu me fondirent ma glace,
La distillant en amoureuse humeur.

CCXVIII [=CCVIII] .

Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant
En sablon d’or, & argentines eaux.
Maint fleuve gros te rend plus ravissant,
Ceinct de Citez, & bordé de Chasteaulx,
Te practiquant par seurs, & grandz batteaulx
Pour seul te rendre en nostre Europe illustre.
Mais la vertu de ma Dame te illustre
Plus, qu’aultre bien, qui te face estimer.
Enfle toy donc au parfaict de son lustre,
Car fleuve heureux plus, que toy, n’entre en Mer.

CCXIX [=] .

Pour resister a contrarieté
Tousjours subtile en sa mordente envie,
Je m’accommode a sa varieté,
Soit par civile, ou par rustique vie:
Et si sa poincte est presque au but suyvie,
Je vien, faingnant, son coup anticiper.
O quand je puis sa force dissiper,
Et puis le fait reduire a ma memoire,
Vous me verriez alors participer
De celle gloire haultaine en sa victoire.

CCXX [=CCX] .

Doncques le Vice a Vertu preferé
Infamera honneur, & excellence?
Et le parler du maling proferé
Imposer a la pure innocence?
Ainsi le faulx par non punye offence.
Pervertira tout l’ordre de Nature?
Dieux aveuglez (si tant est vostre injure,
Que par durs motz adjurer il vous faille)
Aydez le vray, la bonté, la droicture,
Ou qu’avec eulx vostre ayde me deffaille.

CCXXI [=CCXI] .

Quand ignorance avec malice ensemble
Sur l’innocent veulent authoriser,
Toute leur force en fumée s’asemble,
S’espaississant pour se immortaliser.
Se foible effort ne peult scandaliser
Et moins forcer l’equité de Nature.
Retirez vous, Envie, & Imposture,
Soit que le temps le vous souffre, ou le nye:
Et ne cherchez en elle nourriture.
Car sa foy est venin a Calumnie.

CCXXII [=CCXII] .

Tes beaulx yeulx clers fouldroyamment luisantz
Furent object a mes pensers unique,
Des que leurs rayz si doulcement nuisantz
Furent le mal tressainctement inique.
Duquel le coup penetrant tousjours picque
Croissant la playe oultre plus la moytié.
Et eulx estanz doulx venin d’amytié,
Qui se nourrit de pleurs, plainctz, & lamentz,
N’ont peu donner par honneste pitié
Un tant soit peu de trefue a mes tourmentz.