19 Fuyant ma mort j'haste ma fin
Maurice Scève

Poème 19 Fuyant ma mort j'haste ma fin

CLXVIII [=CLIX] .

Si de sa main ma fatale ennemye,
Et neantmoins delices de mon Ame,
Me touche un rien, ma pensée endormye
Plus, que le mort soubz sa pesante lame,
Tressaulte en moy, comme si d’ardent flamme
Lon me touchoit dormant profondement.
Adonc l’esprit poulsant hors roidement
La veult fuyr, & moy son plus affin,
Et en ce poinct (a parler rondement)
Fuyant ma mort, j’accelere ma fin.

CLXIX [=CLX] .

Estes vous donc, ô mortelz esbays
De si estrange, & tant novelle chose?
Elle à le Ciel serainé au Pays,
Pour mieulx troubler la paix en mon coeur close.
Et son doulx chant (si au vray dire l’ose,
Et sans me plaindre il me faille parler)
A tranquillé la tempeste par l’air
Pour l’envoier prendre possession
En ma pensée, & là renoveller
Ma tempesteuse, & longue passion.

CLXX. [=CLXI] .

Seul avec moy, elle avec sa partie:
Moy en ma peine, elle en sa molle couche.
Couvert d’ ennuy je me voultre en l’Ortie,
Et elle nue entre ses bras se couche.
Hà (luy indigne) il la tient, il la touche:
Elle le souffre: &, comme moins robuste,
Viole amour par ce lyen injuste,
Que droict humain, & non divin, à faict.
O saincte loy a tous, fors a moy, juste,
Tu me punys pour elle avoir meffaict.

CLXXI [=CLXII] .

Oserois tu, ô Ame de ma vie,
Ce mien merite a celluy transporter,
A qui l’honneur du debvoir te convie
Tresprivément tes secretz r’apporter?
Vueilles (aumoins present moy) te porter
Moins domestique a si grand loyaulté:
Et recongnoy, que pour celle beaulté,
Dont les haultz dieux t’ont richement pourveue,
Les cieulx jaloux de si grand privaulté
Avecques moy jectent en bas leur veue.

CLXXII [=CLXIII] .

De ce bien faict te doibs je aumoins louer,
Duquel je note & le lieu, & la place,
Ou, tout tremblant, tu m’ouys desnouer
Ce mortel noud, qui le coeur m’entrelasse.
Je te vy lors, comme moy, estre lasse
De mon travail, plus par compassion,
Que pour sentir celle grand’ passion
Que j’ay encor, non toutesfoys si grande.
Car estaingnant mon alteration,
Tu me receus pour immolée offrande.

CLXXIII [=] .

Comme corps mort vagant en haulte Mer,
Esbat des Ventz, & passetemps des Undes,
J’errois flottant parmy ce Gouffre amer,
Ou mes soucys enflent vagues profondes.
Lors toy, Espoir, qui en ce poinct te fondes
Sur le confus de mes vaines merveilles,
Soubdain au nom d’elle tu me resveilles
De cest abysme, auquel je perissoys:
Et a ce son me cornantz les oreilles,
Tout estourdy point ne me congnoissoys.

CLXXIIII [=CLXV] .

Mes pleurs clouantz au front ses tristes yeulx,
A la memoire ouvrent la veue instante,
Pour admirer, & contempler trop mieulx
Et sa vertu, & sa forme elegante.
Mais sa haultesse en magesté prestante,
Par moy, si bas, ne peult estre estimée.
Et la cuydant au vray bien exprimée
Pour tournoyer son moins, ou environ,
Je m’apperçoy la memoyre abismée
Avec Dathan au centre d’Abiron.

CLXXV [=CLXVI] .

Tout jugement de celle infinité,
Ou tout concept se trouve superflus,
Et tout aigu de perspicuité
Ne pourroyent joindre au sommet de son plus.
Car seulement l’apparent du surplus,
Premiere neige en son blanc souveraine,
Au pur des mains delicatement saine,
Ahontiroyt le nud de Bersabée:
Et le flagrant de sa suave alaine
Apovriroyt l’odorante Sabée.

CLXXVI [=CLXVII] .

Vivacité en sa jeunesse absconse,
Docile esprit, object de la Vertu,
L’oracle fut sans doubteuse response,
Qui mon certain à ainsi debatu,
Qu’apres avoir constamment combatu,
Ce mien travail jamais ne cessera.
Donc aultre Troye en moy commencera
Sans recouvrer ma despouille ravie,
Comme elle seule à esté, & sera
Mort de ma mort, & vie de ma vie.