16 Mille révoltes ne m'ont encor bougé
Maurice Scève

Poème 16 Mille révoltes ne m'ont encor bougé

CXLI [=C???II] .

Le bon Nocher se monstre en la tempeste,
Et le Souldart au seul conflict se proeuve:
Aussi Amour sa gloire, & sa conqueste
Par fermeté en inconstance esproeuve.
Parquoy souvent en maintz lieux il me troeuve
Ou audevant me presente un object
Avec si doulx, & attrayant subject,
Que ma pensée, a peu pres s’y transmue,
Bien que ma foy, sans suyvre mon project,
Cà, & là tourne, & point ne se remue.

CXLII [=C???III] .

Le Vespre obscur a tous le jour clouit
Pour ouvrir l’Aulbe aux limbes de ma flamme:
Car mon desir par ta parolle ouyt,
Qu’en te donnant a moy, tu m’estois Dame.
Lors je sentis distiler en mon ame
Le bien du bien, qui tout aultre surmonte.
Et neantmoins, asses loing de mon compte,
Pitié te feit tendrement proferer
Ce doulx nenny, qui flamboyant de honte,
Me promit plus qu’onc n’osay esperer.

CXLIII [=C???IIII] .

Saincte Union povoit seule accomplir
L’intention, que sa loy nous donna,
Comme toy seule aussi debvois supplir
Au bien, qu’a deux elle mesme ordonna.
A luy & Corps, & Foy abandonna:
A moy le Coeur, & la chaste pensée.
Mais si sa part est ores dispensée
A recepvoir le bien, qu’Amour despart,
La mienne est mieulx en ce recompensée,
Que apres Amour, la Mort n’y aura part.

CXLIIII [=C???V] .

Qui ce lien pourra jamais dissouldre,
Si la raison a ce nous contraingnit?
Amour le noud lassa, & pour l’absouldre
Foy le noua, & le temps l’estraingnit.
Premier le Coeur, & puis l’Ame ceingnit
En noud si doulx, & tant indissolvable,
Qu’oultre le bien, qui me tien redevable,
J’espereray en seure indamnité,
Et preuveray par effect jà prouvable
En Terre nom, au Ciel eternité.

CXLV [=C???VI] .

L’heur de nostre heur enflambant le desir
Unit double ame en un mesme povoir:
L’une mourant vit du doulx desplaisir,
Qui l’aultre vive à fait mort recevoir.
Dieu aveuglé tu nous as fait avoir
Sans aultrement ensemble consentir,
Et posseder, sans nous en repentir,
Le bien du mal en effect desirable:
Fais que puissions aussi long temps sentir
Si doulx mourir en vie respirable.

CXLVI [=] .

De la mort rude a bon droit me plaindrois,
Qui a mes voeutz tendit oreilles sourdes:
Contre l’Aveugle aussi ne me faindrois,
Pyrouettant sur moy ses fallebourdes,
Si par fortune en ses traverses lourdes
Ne fust ma joye abortivement née.
La fin m’avoit l’heure determinée
Amour soubdain l’effect executa:
Occasion seule predestinée
Causa le brief, qui me persecuta.

CXLVII [=C???VIII] .

Non tant me nuict ceste si longue absence
Que mal me feit le bref departement.
Car le present de l’heureuse presence
Eust le futur deceu couvertement.
Vous, ô haultz cieulx veites apertement,
Qu’onques en moy ne pensay d’approcher
Le bien, que j’ay tousjours eu sur tout cher:
Aussi par vous la Fortune benigne
Le me feit veoir, & presqu’au doigt toucher,
M’en retirant, comme sans vous indigne.

CXLVIII [=C???IX] .

Bien fortuné celuy se pouvoit dire,
Qui vint, affin qu’en voyant il vainquist:
Mais plus grand heur le sort me deut ascrire,
Qui tel souhaict inesperé m’acquit,
Me submettant celle, qui me conquit
A transformer son saulvage en humain.
Non que ne soit trop plus, qu’a ce Romain,
Mon chemin aspre, aussi de plus grand’ gloire.
Car en vainquant tumber dessoubz sa main,
M’a esté voye, & veue, & puis victoire.

CXLIX [=CXL] .

A Cupido je fis maintz traictz briser
Sans que sur moy il peut avoir puissance,
Et pour me vaincre il se va adviser
De son arc mettre en ton obeissance:
Point ne faillit, & j’en euz congnoissance,
Bien que pour lors fasse sans jugement.
Et toutesfois j’apperçeuz clerement,
Que tes sourcilz estoient d’Amour les arcz.
Car tu nauras mon coeur trop asprement
Par les longz traictz de tes perceanz regardz.