CXIIII [=CV] .
Je vy aux raiz des yeulx de ma Deesse
Une clarté esblouissamment plaine
Des esperitz d’Amour, & de liesse,
Qui me rendit ma fiance certaine
De la trouver humainement haultaine.
Tant abondoit en faveur, & en grace,
Que toute chose, ou qu’elle dye, ou face,
Cent mille espoirs y sont encor compris.
Et par ainsi, voyant si doulce face,
Ou moins craingnoys, là plus tost je fus pris.
CXV [=CVI] .
J’attens ma paix du repos de la nuict,
Nuict refrigere a toute aspre tristesse:
Mais s’absconsant le Soleil, qui me nuyt,
Noye avec soy ce peu de ma liesse.
Car lors jectant ses cornes la Deesse,
Qui du bas Ciel esclere la nuict brune,
Renaist soubdain en moy celle aultre Lune
Luisante au centre, ou l’Ame a son sejour.
Qui, m’excitant a ma peine commune,
Me fait la nuict estre un penible jour.
CXVI [=CVII] .
Fortune forte a mes voeutz tant contraire
Oste moy tost du mylieu des Humains.
Je ne te puis a mes faveurs attraire:
Car ta Dame à ma roue entre ses mains.
Et toy, Amour, qui en as tué maintz:
Elle à mon arc pour nuire, & secourir.
Au moins toy, Mort, vien acoup me ferir:
Tu es sans Coeur, je n’ay puissance aulcune.
Donc (que crains tu?) Dame, fais me mourir,
Et tu vaincras, Amour, Mort, & Fortune.
CXVII [=CVIII] .
Seroit ce point fiebvre, qui me tourmente,
Brulant de chault, tremblant aussi de froit?
C’est celle ardeur, que j’ay si vehemente,
Qui tant plus sent ta froideur, tant plus croit,
Bien que ton froit surprimer la vouldroit
Taschant tousjours à me faire nuisance.
Mais, comme puis avoir d’eulx congnoissance,
Ilz sont (tous deux) si fortz en leur poursuivre,
Que froit, & chault, pareilz en leur puissance,
Me font languir sans mourir, & sans vivre.
CXVIII [=CIX] .
Mars amoureux voulut baiser ma Dame,
Pensant que fust Venus sa bien aymée.
Mais contre luy soubdain elle s’enflamme,
Et luy osta son espée enfumée.
Quand je la vy en ce poinct estre armée.
Fais, dy je lors, de ceste Cymeterre,
Que je descende avec mes maulx soubz terre.
Va: ta demande est, dit elle, importune.
Car j’en veulx faire a tous si forte guerre,
Qu’aulcun n’aura sur moy victoire aulcune.
CXIX [=CX] .
De l’arc d’Amour tu tires, prens, & chasses
Les coeurs de tous a t’aymer curieux:
Du Bracquemart de Mars tu les deschasses
Tant, que nul n’est sur toy victorieux.
Mais veulx tu faire acte plus glorieux,
Et digne asses d’eternelle memoire?
Pour t’acquerir perpetuelle gloire,
Rendz son espée a ce Dieu inhumain,
Et a l’Archier son arc fulminatoire,
Et tes Amantz fais mourir de ta main.
CXX [=CXI] .
Lors que le Soir Venus au Ciel r’appelle,
Portant repos au labeur des Mortelz,
Je voy lever la Lune en son plain belle,
Ressuscitant mes soucys immortelz,
Soucys, qui point ne sont a la mort telz,
Que ceulx, que tient ma pensée profonde.
O fusses tu, Vesper, en ce bas Monde,
Quand celle vient mon Enfer allumer.
Lors tu verroys, tout autour a la ronde,
De mes souspirs le Montgibel fumer.
CXXI [=CXII] .
Longue silence, ou je m’avainissoys
Hors la memoyre & des Dieux, & des hommes,
Fut le repos, ou je me nourrissoys
Tout deschargé des amoureuses sommes.
Mais, comme advient, quand a souhait nous sommes,
De nostre bien la Fortune envieuse
Trouble ma paix par troys lustres joyeuse,
Renovellant ce mien feu ancien.
Dont du grief mal l’Ame toute playeuse.
Fait resonner le circuyt Plancien.
CXXII [=CXIII] .
En devisant un soir me dit ma Dame.
Prens ceste pomme en sa tendresse dure,
Qui estaindra ton amoureuse flamme,
Veu que tel fruict est de froide nature:
Adonc aura congrue nourriture
L’ardeur, qui tant d’humeur te fait pleuvoir.
Mais toy, luy dy je, ainsi que je puis veoir,
Tu es si froide, & tellement en somme,
Que si tu veulx de mon mal cure avoir,
Tu estaindras mon feu mieulx, que la pomme.