10 Ma fermeté me nuict
Maurice Scève

Poème 10 Ma fermeté me nuict

LXXVIII.

Je me complais en si doulce bataille,
Qui sans resouldre, en suspend m’entretient.
Si l’un me point d’un costé, l’autre taille
Tout rez a rez de ce, qui me soustient.
L’un de sa part tresobstiné maintient,
Que l’espoir n’est, sinon un vain umbrage:
Et l’aultre dit desir estre une rage,
Qui nous conduit soubz aveuglée nuict.
Mais de si grand, & perilleux naufrage
Ma fermeté retient ce, qui me nuict.

LXXIX.

L’Aulbe estaingnoit Estoilles a foison,
Tirant le jour des regions infimes,
Quand Apollo montant sur l’Orison
Des montz cornuz doroit les haultes cymes.
Lors du profond des tenebreux Abysmes,
Ou mon penser par ses fascheux ennuyz
Me fait souvent perçer les longues nuictz,
Je revoquay a moy l’ame ravie:
Qui, dessechant mes larmoyantz conduictz,
Me feit cler veoir le Soleil de ma vie.

L???.

Au recevoir l’aigu de tes esclairs
Tu m’offuscas & sens, & congnoissance.
Car par leurs rays si soubdains, & si clairs,
J’eu premier peur, & puis resjouissance:
Peur de tumber soubz griefve obeissance:
Joye de veoir si hault bien allumer.
Osas tu donc de toy tant presumer,
Oeil esblouy, de non veoir, & de croire,
Qu’en me voulant a elle accoustumer,
Facilement j’obtiendrois la victoire?

L???I.

Ne t’esbahis, Dame, si celle fouldre
Ne me fusa soubdainement le corps.
Car elle m’eust bien tost reduit en pouldre,
Si ce ne fust, qu’en me tastant alors,
Elle apperçeut ma vie estre dehors,
Heureuse en toy: D’ailleurs, elle n’offense
Que le dedans, sans en faire apparence,
Ce que de toy elle à, certes, appris.
Car je scay bien, & par experience,
Que sans m’ouvrir tu m’as ce mien coeur pris:

L???II.

L’ardent desir du hault bien desiré,
Qui aspiroit a celle fin heureuse,
A de l’ardeur si grand feu attiré,
Que le corps vif est jà poulsiere Umbreuse:
Et de ma vie en ce poinct malheureuse
Pour vouloir toute a son bien condescendre,
Et de mon estre ainsi reduit en cendre
Ne m’est resté, que ces deux signes cy:
L’oeil larmoyant pour piteuse te rendre,
La bouche ouverte a demander mercy.

L???III.

Vulcan jaloux reprochoit a sa femme,
Que son enfant causoit son vitupere.
Venus cuydant couvrir si grand diffame,
Battoit son filz pour complaire a son pere.
Mais lors Amour plorant luy impropere
Maint cas, dont fut le Forgeron honteux:
Et de vengeance estant trop couvoiteux,
Pourquoy, dist il, m’as tu bandé la face?
Sinon affin qu’en despit du Boyteux
Auclunesfois, non voyant, te frappasse?

L???IIII.

Ou le contraire est certes verité,
Ou le rapport de plusieurs est mensonge,
Qui m’à le moins, que j’ay peu, irrité,
Sachant que tout se resouldroit en songe:
Bien que la doubte aucunesfois se plonge
Sur le scrupule, ou ta bonté demeure
Vray est, qu’alors, tout soubdain, & sur l’heure
Je ris en moy ces fictions frivoles,
Comme celuy, que plainement s’asseure
Tout en ta foy, thresor de tes parolles.

L???V.

Non sur toy seule Envie à faict ce songe,
Mais en maintz lieux, & plus hault mille fois.
Et si en toy elle est veue mensonge,
Pour verité se troeuve toutesfois.
Et pour spectacle, ô Albion, tu vois
Malice honneur aujourdhuy contrefaire,
Pour a ta Dame un tel oultrage faire,
Qu’elle à plus cher a honte, & villainie
De sa Coronne, & de soy se deffaire,
Que veoir Amour ceder a Calumnie.

L???VI.

Sur le matin, commencement du jour,
Qui flourit tout en penitence austere,
Je vy Amour en son triste sejour
Couvrir le feu, qui jusque au coeur m’altere.
Descouvre, dy je, ô malin, ce Cotere,
Qui moins offence, ou plus il est preveu.
Ainsi, dit il, je tire au despourveu,
Et celément plus droit mes traictz j’asseure.
Ainsi qui cuyde estre le mieulx pourveu
Se fait tout butte a ma visée seure.