08 Asses meurt qui en vain aymé
Maurice Scève

Poème 08 Asses meurt qui en vain aymé

LX.

Si c’est Amour, pourquoy m’occit il doncques,
Qui tant aymay, & onq ne scevz hair?
Je ne m’en puis non asses esbahir,
Et mesmement que ne l’offençay oncques:
Mais souffre encor, sans complainctes quelconques,
Qu’il me consume, ainsi qu’au feu la Cyre.
Et me tuant, a vivre il me desire,
Affin qu’aymant aultruy, je me desayme.
Qu’est il besoing de plus oultre m’occire,
Veu qu’asses meurt, qui trop vainement ayme?

LXI.

Plus librement, certes, j’accuserois
Le tien vers moy & froid, & lent courage:
Si le devoir duquel j’abuserois,
Ne te fust honte, & a moy grand oultrage
Car la ferveur d’une si doulce rage
Suspend tousjours l’incertain d’amytié:
Qui fait souvent, que vraye inimitié
Se doubte aussi soubz prouvée union.
Mais, si tu veulx, par ta froide pitié
Tu decevras la mienne opinion.

LXII.

Non celle ardeur du Procyon celeste
Nous fait sentir de Phaeton l’erreur:
Mais cet aspect de la Vierge modeste
Phebus enflamme en si ardente horreur,
Qu’aux bas mortelz vient la froide terreur,
Qui de la peur de leur fin les offense.
Voy: Seulement la memoire en l’absence
De toy m’eschauffe, & ard si vivement,
Qu’en toy me fait ta divine presence
Prouver tousjours l’extreme jugement.

LXIII.

L’Esté bouilloit, & ma Dame avoit chault:
Parquoy Amour vistement se desbande,
Et du bandeau l’esventant bas, & hault,
De ses beaulx yeulx excite flamme grande,
Laquelle au voile, & puis de bande en bande,
Saulté aux cheveulx, dont l’Enfant ardent fume.
Comment, dit il, est ce donc ta coustume
De mal pour bien a tes serviteurs rendre?
Mais c’est ton feu, dit elle, qui allume
Mon chaste coeur, ou il ne se peult prendre.

LXIIII.

Des Montz hautains descendent les ruisseaulx,
Fuyantz au fons des umbreuses vallés
Des champz ouvertz & bestes, & oyseaulx
Aux boyz serrez destournent leurs allées,
Les ventz bruyantz sur les undes sallées,
Soubz creux rochers appaisez se retirent.
Las de mes yeulx les grandz rivieres tirent
En lieux a tous, fors a elle, evidentz.
Et mes souspirs incessamment respirent,
Tousjours en Terre, & au Ciel residentz.

LXV.

Continuant toy, le bien de mon mal,
A t’exercer, comme mal de mon bien:
J’ay observé pour veoir, ou bien, ou mal,
Si mon service en toy militoit bien.
Mais bien congneus appertement combien
Mal j’adorois tes premieres faveurs.
Car, savourant le jus de tes saveurs
Plus doulx asses, que Succre de Madere,
Je creuz, & croy encor tes deffameurs,
ant me tient sien l’espoir, qui trop m’ádhere.

LXVI.

Tresobservant d’eternelle amytié
Je me laissois aux estoilles conduire.
Quand, admirant seulement a moytié
Celle vertu, qui tant la faict reluire,
Soubdain doubtay, qu’elle me pourroit nuire.
Pour estre a tous si grand contentement.
Dont froide peur surprenant lentement
Et Corps, & Coeur, à jà l’Ame conquise:
Tant griefve perte est perdre promptement
Chose par temps, & par labeur acquise.

LXVII.

Amour des siens trop durement piteux
Cacha son arc, abandonnant la Terre.
Delie voit le cas si despiteux,
Qu’avec Venus le cherche, & le deterre.
Garde, luy dist Cypris, qu’il ne t’enferre,
Comme aultresfois mon coeur l’à bien prouvé.
Je ne crains point si petit arc trouvé,
Respond ma Dame haultaine devenue.
Car contre moy l’Archier s’est esprouvé:
Mais tout armé l’ay vaincu toute nue.

LXVIII.

Comme lon voit sur les froides pensées
Maintz accidentz maintes fois advenir,
Ainsi voit on voulentez insensées
Par la memoire a leur mal revenir.
A tout moment de toy le souvenir
Ores la doubte, ores la foy me baille,
Renovellant en moy celle bataille,
Qui jusqu’en l’Ame en suspend me demeure.
Aussi vault mieux qu’en doubtant je travaille,
Que, estant certain, cruellement je meure.