07 A tous clarté à moy ténèbres
Maurice Scève

Poème 07 A tous clarté à moy ténèbres

LI.

Si grand beaulté, mais bien si grand merveille,
Qui a Phebus offusque sa clarté,
Soit que je sois present, ou escarté,
De sorte l’ame en sa lueur m’esveille,
Qu’il m’est advis en dormant, que je veille,
Et qu’en son jour un espoir je prevoy,
Qui de bien brief, sans deslay, ou renvoy,
M’esclercira mes pensées funebres.
Mais quand sa face en son Mydy je voy,
A tous clarté, & a moy rend tenebres.

LII.

Le fer se laisse, & fourbir, & brunir,
Pour se gaigner avec son lustre gloire:
Ou mon travail ne me fait, qu’embrunir
Ma foy passant en sa blancheur l’yvoire.
Je contendrois par dessus la victoire:
Mais hazardant hazard en mes malheurs,
Las je me fais despouille a mes douleurs,
Qui me perdantz, au perdre me demeurent,
Me demeurantz seulement les couleurs
De mes plaisirs, qui, me naissantz, me meurent.

LIII.

L’Architecteur de la Machine ronde,
Multipliant sa divine puissance,
Pour enrichir la povreté du Monde
Crea Francoys d’admirable prestance:
Duquel voulant demonstrer la constance,
Vertu occulte, il l’à soubdain submis
Aux foibles mains de ses fiers ennemys,
Chose sans luy vrayement impossible.
Puis l’acceptant de ses prouvez amys,
L’à remis sus en sa force invincible.

LIIII.

Glorieux nom, glorieuse entreprinse
En coeur Royal, hault siege de l’honneur,
Luy feit combatre en si dure surprise
L’hoir de Jason guidé par le bonheur.
De palme aussi le juste Coronneur
L’en à orné, durant qu’il à vescu.
Car, se faisant de sa Patrie escu,
Feit confesser a la Fame importune,
Que celuy n’est, ny peult estre vaincu,
Qui combat seul Ennemy, & Fortune.

LV.

L’Aigle volant plus loing, qu’oncques ne fit,
Cuydoit r’entrer en son Empire antique:
Passa la Mer, ou asses tost deffit
Un noveau Monstre en pays d’Aphrique:
Puis print son vol droict au Soleil Gallique,
Duquel l’ardeur ne vive, ne mourante,
Mais en son chault moderé demourante,
Et s’attrempant, peu a peu lentement
La transmua en une Austruche errante,
Qui vole bas, & fuit legerement.

LVI.

Le Corps travaille a forces enervées,
Se resolvant l’Esprit en autre vie.
Le Sens troublé voit choses controvées
Par la memoire en phantasmes ravie.
Et la Raison estant d’eulx asservie
(Non aultrement de son propre delivre)
Me detenant, sans mourir, & sans vivre,
En toy des quatre à mis leur guerison.
Doncques a tort ne t’ont voulu poursuyvre
Le Corps, l’Esprit, le Sens, & la Raison.

LVII.

Comme celluy, qui jouant a la Mousche,
Estend la main, apres le coup receu,
Je cours a moy, quand mon erreur me touche,
Me congnoissant par moymesmes deceu.
Car lors que j’ay clerement apperceu,
Que de ma foy plainement elle abuse,
Ceste me soit, dy je, derniere excuse:
Plus je ne veulx d’elle aulcun bien chercher.
L’ay je juré: soubdain je m’en accuse,
Et, maulgré moy, il me fault chevecher.

LVIII.

Quand j’apperceu au serain de ses yeulx
L’air esclarcy de si longue tempeste,
Jà tout empeinct au prouffit de mon mieulx,
Comme un vainqueur d’honnorable conqueste,
Je commençay a eslever la teste:
Et lors le Lac de mes novelles joyes
Restangna tout, voire dehors ses voyes
Asses plus loing, qu’onques ne feit jadis.
Dont mes pensers guidez par leurs Montjoyes,
Se paonnoient tous en leur hault Paradis.

LIX.

Taire, ou parler soit permis a chascun,
Qui libre arbitre a sa voulenté lye.
Mais s’il advient, qu’entre plusieurs quelqu’un
Te die: Dame, ou ton Amant se oblye,
Ou de la Lune il fainct ce nom Delie
Pour te monstrer, comme elle, estre muable:
Soit loing de toy tel nom vituperable,
Et vienne à qui un tel mal nous procure.
Car je te cele en ce surnom louable,
Pource qu’en moy tu luys la nuict obscure.