La rivière qui n’est jamais finie,
Qui coule et ne reviendra jamais,
L’eau sans retour ni pardon m’a punie
Mais je ne sais pas ce que j’ai fait.
J’avais dans les mains, j’avais un coeur d’homme
- Je ne savais pas ce que je l’avais
Léger sur mes doigts comme une souffle, comme
Un brin tiède et fol duvet.
Comment si tard en mes mains sauvages,
Si prompt, si doux, avait-il volé ?
Et ces mains au vent, ces mains que ravage
L’automne, au vent l’ont laissé aller…
La rivière qui fuit dès qu’elle arrive,
Pleine sans fin d’amour offensé,
Sans fin repousse et chasse la rive
Où ma grand’faute aura commencé.
Tout le long de l’eau je cherche ma faute
Pour pleurer dessus et la laver,
Mais tout le long de l’eau l’herbe est si haute
Que je ne peux pas la retrouver.
Ce cœur en mes mains volant, ce cri tendre,
Où l’ai-je .égaré ? Je l’aimais tant
Que je n’osais pas tout à fait le prendre
Ni le toucher qu’à peine en chantant.
Que j’avais peur de me dire un mensonge,
De le croire à moi, de l’éveiller
En le serrant trop, comme un cœur de songe
Qui n’est pas sûr et va s’effeuiller.
Je ne le tenais par un fil qu’à peine…
Un fil… Le vent l’a peut-être usé ?
Peut-être en tremblant de joie incertaine
Est-ce en tremblant que je l’ai brisé ?
Que je l’ai perdu ce cœur mien, pareille
À celle, ô Dieu ! qui fait un faux pas
Et laisse tomber un soir sa merveille
Son fils unique en l’eau qui s’en va,
En l’eau qui fuit, fuit, sans vouloir entendre,
L’eau que nul cri ne peut rappeler,
Et l’eau qui court, court, pour ne jamais rendre
Le flot où s’est l’amour en allé…
Je cours le long de l’eau toute l’année
Pour la rattraper… Le temps se tait.
Le ciel ne dit rien… Je suis retournée
Jusque dans l’homme où ce cœur était.
Mais je n’ai rien vu qu’un homme rapide
Qui s’éloignait en pressant le pas,
Un homme, un absent, où mon nom est vide
Et dont la voix ne me connaît pas.
La rivière qui n’est jamais finie,
Qui passe et ne reviendra jamais,
L’eau qui fuit pour toujours, l’eau m’a punie…
Ah ! pour toujours, hier, qu’ai-je fait ?