A Edmond Haraucourt.
C’était un poète tourmenté d’un mal étrange
Il vécut sans désirs sans ambitions
Sans jalousie et sans joies;
Ignorant les larmes plus douces que le miel
Et les mortels baisers.
Car, un soir d’extase, il avait aperçu dans la Lune
Celle qu’il devait aimer d’un amour unique -
Il avait aperçu le lumineuse fiancée
Qui l’appelait avec un sourire silencieux -
* *
Les destinées avaient maudit ce rêveur.
Et c’est avec ce dégoût de malade qu’il lutta pour le pain très sec,
Et le vin très frelaté de chaque jour.
Mais quand venait le soir, il oubliait
Les rancoeurs et la lutte pour le pain très sec;
Et à sa fenêtre accoudé il chantait, -
Des chants pleins d’amour et de surhumaine clarté -
A la fiancée lumineuse qui l’appelait
Avec un sourire silencieux.
* *
Les filles de la terre, en vain l’éblouissaient des blancs éclairs
De leurs gorges amoureuses,
En vain rôdaient autour de lui leurs yeux ivres.
Il restait fidèle à la fiancée qu’il avait aperçu dans la lune.
Et qui l’appelait avec un sourire silencieux.
* *
Il vécut ainsi beaucoup d’années,
Attendant l’heure de l’éternel hymen
Puis, un soir d’extase, il est mort -
Le poète tourmenté de ce mal étrange.
Et son âme s’envola chantant
Un hymne de joie,
Là-haut, vers le Pays convoité
Si ardemment, si fidèlement! -
Dans les bras de l’unique Bien-Aimée
Qui l’appelait
Avec un sourire silencieux.
* *
Et, dans une alcôve faite de rayons
Il étreignit pour jamais
La lumineuse fiancée.
Et ils s’aimèrent longtemps, bien longtemps
D’amour limpide comme l’éther.
Sans inquiétudes, sans angoisses
Sans jalousies et sans pleurs.
* *
Mais, un soir, le poète s’accouda comme autrefois à sa fenêtre
Et regarda la terre. . . avec regret.